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s’évanouissaient, jusqu’à ce que le sol même où je me tenais s’évanouît. J’arrivai ainsi au cauchemar maladif et au vertige. Vers deux heures, le chat se mit à miauler dans la chambre ; je tâchai d’abord de le faire taire, en lui parlant ; puis je pris le parti de le mettre dehors. Je me rappelle l’impression que j’éprouvai en battant le briquet, il n’y avait là que deux yeux ronds, brillants, verts, et rien autour. Je lui aurais bien donné du lait, mais je n’en avais plus. Il ne voulait pas se tenir tranquille ; il s’assit et miaula encore jusqu’à la porte. J’essayai de l’attraper avec l’idée de le jeter par la fenêtre, mais il ne se laissa pas prendre, il disparut, tout en continuant de miauler à droite et à gauche dans la chambre. À la fin, j’ouvris la fenêtre, et je fis un grand remue-ménage. Sans doute, il finit par sortir : je ne le vis, je ne l’entendis plus jamais.

» Alors, Dieu sait pourquoi ! je repensai à l’enterrement de mon père, à la colline lugubre battue par le vent, jusqu’à ce que le jour se levât. Je compris qu’il fallait renoncer à dormir, et, fermant ma porte derrière moi, j’errai par les rues, dans la lumière du matin.

— Vous ne voulez pas dire qu’il y a un chat invisible lâché à travers le monde ? demanda Kemp.

— À moins qu’on ne l’ait tué… Pourquoi pas ? fit l’homme invisible.

— Pourquoi pas ?… Mais je n’avais pas l’intention de vous interrompre.

— Il est bien probable qu’on l’a tué, reprit Griffin. Cependant, quatre jours après, il était encore vivant, c’est tout ce que je sais ; il était au bas d’une grille, dans Great Tichfield Street : je vis des gens attroupés qui cherchaient d’où venaient des miaulements.

Griffin se tut pendant près d’une minute. Puis il reprit d’un ton brusque :

— Je me rappelle cette matinée qui précéda ma métamorphose… Je devais avoir remonté Great Portland Street, car je vois encore la caserne d’Albany Street et la sortie des gardes à cheval ; finalement, je me trouvai assis au soleil, souffrant, mal à mon aise, en haut de Primrose Hill. C’était un jour ensoleillé de janvier, un de ces jours radieux et froids