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AR MÔR

sont anciennes. Nous autres, nous sommes trop jeunes… Rappelle-toi, ô père !… Regarde dans les abîmes de ta mémoire, profonde comme les temps… Si le cri des grands oiseaux blancs t’a fait tressaillir, c’est qu’ailleurs, jadis, tes oreilles l’ont perçu… Rappelle-toi !… Qu’annonçait-il ?… Qu’annonçait l’approche des collines venteuses que les arbres fuyaient ?… Et quelle signification nos aïeux, tes frères, attribuaient-ils à l’air, nourri d’ineffables essences, qui, depuis des jours, se cristallise au poil de nos barbes, inonde nos veines, exalte notre sang et suscite en nous, avec je ne sais quelles ardeurs sans but, un irrésistible besoin d’agir ?… »

Au bout des poings tendus de Gor, l’Ancêtre, dressé très haut dans le crépuscule, semblait planer sur la tribu.

Une angoisse religieuse faisait palpiter tous les cœurs. Les devins, seuls, ricanaient, parce qu’ils n’avaient foi que dans leur science, c’est-à-dire dans leur routine. Assis auprès de la pierre sacrée dont ils avaient la garde, et qui ne devait être débarrassée des bandelettes qui l’enserraient que le jour où les Kymris auraient atteint le terme marqué pour la fin de leur exode, — ils désapprouvaient l’Osisme entreprenant, raillaient sa présomption, se gaussaient entre eux de l’insuccès promis à sa tentative.

— Il n’obtiendra rien de l’Oracle, — disaient-ils. — Hudur elle-même ne l’a-t-elle pas interrogé en vain, quand, pour la première fois, aux abords de cette région, les buffles ont récalcitré ?…

Pendant quelques minutes, l’événement parut leur donner raison.

Grisé, sans doute, par les libres souffles du dehors, l’Oracle ne cessait de branler sa tête caduque, tel qu’un homme sous l’empire des boissons fermentées, tandis que ses bras, évidés comme des sarments, demeuraient incrustés dans ses côtes. Et, sur sa face morte, couleur de vieux buis, pas un rayon de vie ne transparaissait. Mais, soudain, comme une bouffée de brise, plus chargée d’arômes, franchissait la barrière des dunes, le miracle s’opéra. Les Kymris virent, avec stupeur,