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LA REVUE DE PARIS

les traits immuables de l’Ancêtre se détendre, ses paupières battre et ses narines se gonfler. C’était comme si un flot de sève eût subitement amolli et retrempé les fibres de l’arbre flétri. L’homme des longs âges défunts se ranimait. Ses mâchoires s’écartèrent, sa bouche béa, et, sitôt qu’il eut goûté le vent, un vaste soupir l’ébranla dans tous ses membres. Gor exultait.

— Vous l’avais-je dit ! — murmura-t-il, haletant. — Le présent est dans le passé ; l’odeur est dans la mémoire du Vieux : en la flairant, il l’a reconnue !…

Oui, l’inexplicable odeur, l’odeur que les clans ne se souvenaient d’avoir respirée nulle part, cette odeur qui n’était celle d’aucune autre terre ni d’aucun autre firmament, il fut évident aux yeux de tous qu’il la reconnaissait et qu’il en montrait même une sorte de joie, lui, l’aîné de la race, le survivant à demi fossile des générations qui, les premières, s’étaient mises en marche vers l’insaisissable Ouest, sur les pas et sur la foi du soleil.

— En quoi sommes-nous plus avancés ? balbutièrent les chefs.

— Patientez ! riposta l’Osisme.

Le travail de la résurrection se consommait, en effet, dans la conscience plusieurs fois séculaire de l’Ancien des Anciens. Il parvint à raidir sa nuque de squelette et darda ses prunelles éteintes vers les austères collines chauves sur qui s’allumait, là-bas, l’astre symbolique de son peuple, la pure et mélancolique étoile du couchant. Il fit même le geste de lever la main pour désigner le point du ciel où elle scintillait d’un pâle éclat.

Puis ce fut au tour de ses lèvres de s’agiter. Les Kymris, aux écoutes, retenaient jusqu’à leur haleine. Mais le taciturne vieillard avait sans doute depuis trop longtemps désappris le langage des sons, car il ne put articuler distinctement que ces deux vocables :

Ar môr[1]

Ar môr ?… Qu’est-ce que cela pouvait bien vouloir dire ?… Les chefs questionnèrent des yeux les devins qui hochèrent

  1. La mer.