Page:Revue de Paris - 1902 - tome 2.djvu/576

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
568
LA REVUE DE PARIS

les noms les plus tendres : il ne se retourna même pas. Accablée de lassitude et de désespoir, elle tomba sur le sol, dans la litière des fleurs rampantes, couleur de pourpre pâle. Gor, à cet instant, venait d’atteindre les collines : elle l’aperçut, une fois encore, debout à leur sommet. La clarté des étoiles se réfléchissait dans les luisants bronzés de son torse. Il semblait démesuré. Les grandes mèches de sa crinière léonine s’échevelaient aux souffles de l’espace : on eût dit un grand feuillage rebroussé. Tout son corps planait, comme dans un vertige d’adoration et d’extase. À trois reprises, il proféra d’un ton véhément :


— Ar môr !… Ar môr !… Ar môr !…

Et les yeux de la douloureuse Iona ne distinguèrent plus rien que le sombre rempart des dunes où les plantes aux dards hérissés balançaient leurs thyrses. Le bruit même des pas du jeune chef s’était évanoui. Il s’était évadé à jamais dans l’odeur ambrosienne et le miraculeux chant de l’invisible…


Dès l’aube suivante, les Kymris décidèrent de lui élever un cairn funèbre à l’endroit où sa femme disait l’avoir vu disparaître. Les premiers qui escaladèrent à ce dessein la pente des collines occidentales demeurèrent frappés d’admiration : un ciel d’eau mouvante étincelait à l’infini devant eux, mirant l’autre ciel et décuplant sa beauté. Au lieu d’un monument de mort, ce fut un autel qu’ils bâtirent.

Et voilà, dit-on, comment, après des siècles d’interruption, et au terme des longues étapes terriennes à travers l’Europe, fut de nouveau scellé l’ancien pacte des Kymris avec la mer.


anatole le braz