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Port-Royal appartient à l’histoire et non pas à la légende. La flore miraculeuse des Fioretti n’a pas eu le temps de croître sur ces pierres où grimpe le lierre noir de l’oubli. Les pèlerins mêmes que le hasard ou la curiosité conduit dans le vallon de Chevreuse sont presque déçus de n’y point trouver ce qui compose la conventionnelle beauté des ruines : colonnes, statues, portiques brisés, voûtes chancelantes, — car de l’Abbaye primitive et des bâtiments annexes il ne reste presque rien, et il n’y a rien à voir que les débris des tours construites pendant la Fronde, une grange, un colombier, l’emplacement de l’église, et dans le petit oratoire-musée, des livres, des manuscrits, des reliques anonymes, des tableaux médiocres, d’après Philippe de Champaigne, et l’admirable masque de plâtre pris sur le cadavre de Pascal. Il y a aussi le paysage, qui n’a point changé. Mais, trop souvent, le visiteur n’entend qu’à demi le langage des choses, ne goûte qu’à demi l’austère beauté de ces lieux.

Et pourtant, aucun pèlerinage ne saurait être plus émouvant, si l’on y apportait une âme recueillie et préparée.

Étudiez Port-Royal. Appliquez-vous à le bien comprendre, puis, un matin, partez à pied, descendez la vallée sinueuse qui s’élargit et s’abîme en un vaste entonnoir de verdure. Traversez le village de Saint-Lambert ; saluez en passant la maison de M. de Tillemont entre ses charmilles séculaires ; entrez à Port-Royal ; errez parmi ces tronçons de colonnes, sur ces prairies abandonnées, sous ces peupliers toujours gémissants. Alors des figures sévères et vénérables surgiront de toutes parts dans le décor primitif, aisément reconstitué. Vous pourrez, par la pensée, relever ces murs abattus et les repeupler de fantômes ; pénétrer dans l’intimité des Mères et des Messieurs ; assister à leurs exercices, à leurs entretiens, à leurs travaux ; vivre, heure par heure, une journée de leur vie. Alors, sans doute, vous subirez la fascination que Port-Royal exerce, à travers les siècles, sur tous ceux qui l’ont approché une fois. Vous subirez le charme nostalgique de ce vallon, l’attrait de la bienheureuse solitude… « Ce lieu saint touche, ce me semble, plus que les autres, écrivait la mère Agnès ; on ressent, en l’approchant, un certain mouvement de dévotion qu’on ne ressent point ailleurs… Si nos sœurs l’avaient