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une journée de port-royal des champs

éprouvé, je crois qu’elles demanderaient à Dieu des ailes de colombe pour y voler et s’y reposer. »

La ferme des Granges existe encore sur la « montagne ». C’est aujourd’hui une propriété particulière dont l’accès n’est point facile et qui se dérobe aux curiosités indiscrètes et même aux pieuses curiosités. Les longs murs, la grille doublée de zinc, ne laissent rien deviner, et la porte ne s’ouvre que pour les visiteurs dûment présentés par un ami de la maison. Elle s’est ouverte pour moi, grâce à l’excellente recommandation de M. Gazier, dont je ne saurais trop reconnaître la bienveillance.

Dès l’entrée, à droite, on aperçoit le vieux bâtiment des Petites-Écoles, flanqué d’une aile neuve, toute blanche, et, dans la cour de la ferme, le fameux puits aux sources de vingt-sept toises de profondeur, où, par une machine de l’invention de M. Pascal, « un garçon de douze ans pouvait monter un volume d’eau pesant deux cent soixante et dix livres sans compter le poids du seau ». Par delà les pelouses et les parterres d’un beau jardin, le sol s’abaisse, et, sur la déclivité du coteau, des arbres sveltes et frêles, bouleaux, trembles, peupliers dégringolent, tout blonds dans le soleil. La maison, d’aspect convenable, avec ses longs corridors, ses escaliers à grosse rampe de bois brun, ses chambres ornées de boiseries et de solives, ses portes basses où les noms des Messieurs sont inscrits, fait songer aux estampes du xviie siècle. Il semble qu’au détour d’un couloir, le bon Lancelot va passer, morigénant le petit Racine.

Au commencement de l’année 1654 dix ou douze solitaires seulement et huit écoliers habitaient les Granges. En bas, dans le logement des Hôtes[1] et les annexes de l’abbave, M. d’Andilly était resté, avec M. Moreau, chirurgien, M. Giroust, sacristain, M. Giroust de Bessi « qui surveillait le ménage de

  1. Le Logement des Hôtes, construit dans la « cour du dehors », près de l’Hôtel de Longueville, était un grand bâtiment à trois étages, où il y avait des appartements séparés pour les hommes et les femmes qui venaient faire à Port-Royal des retraites ou « renouvellements ».