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une journée de port-royal des champs

marais étaient défrichés, les terres cultivées et assainies, et a tout le temporel de l’abbaye remis en un état plus avantageux qu’auparavant ». Les Messieurs, réfugiés aux Granges, continuaient leur premier genre de vie. Les Petites Écoles des Troux et du Chesnai étaient florissantes, et l’affreux désert ressemblait à une petite ville « par le grand nombre des édifices qu’on y bâtissait et l’affluence de monde que sa réputation attirait de toutes parts ».

Ce n’étaient plus les temps héroïques, ce printemps de Port-Royal où M. de Saint-Cyran, prisonnier, dirigeait par lettres les premiers Solitaires. C’étaient de beaux jours, l’été lumineux et fécond, traversé déjà par des menaces d’orage. Port-Royal semblait prospère, mais une année encore, et la Sorbonne allait condamner le livre d’Arnauld[1], un ordre de la Cour allait disperser les Messieurs et dissoudre les Petites Écoles. Déjà les ennemis de la maison publiaient des calomnies horribles : « qu’il y avait une grande communauté à Port-Royal, qu’on y dogmatisait, qu’il s’y faisait des assemblées dangereuses et de continuelles conférences de théologie et de doctrine ». M. Antoine Le Maistre retrouva tout à coup son éloquence, et composa un véritable plaidoyer sous le titre de : Mémoire pour servir d’éclaircissement aux faux bruits que l’on fait courir contre Port-Royal des Champs. Avec ce mémoire de M. Le Maistre, un écrit de M. Giroust sur la Conduite et les Exercices des Pénitents solitaires de Port-Royal des Champs, avec les charmants souvenirs de Fontaine et quelques pièces du Supplément au Nécrologe, on peut aisément reconstituer, dans ses moindres détails, la vie intime des Messieurs, aux Granges, à cette date précise de 1654.

« Il n’y a ici aucune forme de Communauté, » dit M. Le Maistre. « Il n’y a aussi ni forme, ni couleur d’habit qui y soit affectée ; on n’y fait ni profession ni vœux, quoique d’ailleurs on les honore et on les respecte dans ceux que Dieu y engage et qu’il conduit dans les monastères. Il n’y a aucun établis-

  1. La Fréquente Communion.