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sement de discipline particulière, ni aucune stabilité de demeure ; nulle règle que l’Évangile ; nul lien que celui de la charité catholique et universelle ; nul intérêt ni en particulier ni en commun que celui de gagner le ciel. Ce n’est qu’un lieu de retraite toute volontaire et toute libre, où personne ne vient que l’esprit de Dieu ne l’y amène, et où personne ne demeure que parce que l’esprit de Dieu l’y retient. Ce sont des amis qui vivent ensemble, selon la liberté ordinaire et générale que le Roi laisse à tous ses sujets, mais des amis chrétiens que le sang de Jésus-Christ, répandu pour tous les hommes, et la grâce de ce sang répandu dans leurs cœurs par le Saint-Esprit, a joints ensemble d’une union plus étroite, plus ferme et plus pure que ne sont les plus fortes et les plus intimes amitiés particulières. »

Avant trois heures du matin, M. Hamon, qui couchait sur une planche et dormait fort peu, se levait pour sonner Matines. Le plus jeune des solitaires allait de cellule en cellule réveiller ses compagnons et leur porter de la lumière. Fontaine se chargea de cette fonction d’« excitateur », dès la première nuit de son séjour, et même il manqua d’être dévoré par les gros chiens qu’on lâchait contre les loups, en été, quand le troupeau parquait. Les Messieurs quittaient leur lit de paille, s’habillaient en priant, et répétaient les Demandes quotidiennes qu’on avait jointes à la prière du matin :

« Faites-moi la grâce, ô mon Dieu, d’être du petit nombre de vos élus !

» Faites-moi la grâce de coopérer à vos saintes grâces !

» Faites-moi la grâce de vivre et de mourir pénitent ! »

Ils prenaient de l’eau bénite en disant Asperges me, puis, à travers le bois, dans le frisson gris de l’aube, ils descendaient au petit chœur de l’église[1] dire Matines et Laudes « sans chants et sans notes, sauf aux jours de fêtes solennelles. Cet office durait plus d’une heure et demie, et, sur l’expresse re-

  1. M. Giroust dit qu’ils entendaient Matines dans le petit chœur de l’église, et M. Le Maistre « qu’ils descendent tous les jours en bas pour entendre la messe ou l’office dans l’église des religieuses », mais que, « deux ecclésiastiques logés aux Granges récitant leur office en particulier dans une chambre, les séculiers se joignent à eux quelquefois, lorsqu’ils n’en sont pas détournés par leurs occupations ». Il est probable que les solitaires ne descendaient à l’église que pour Matines, la messe et les vêpres.