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une journée de port-royal des champs

commandation de M. Singlin, on l’entendait debout « parce que, les Laudes étant une ressemblance de ce que font les bienheureux dans le ciel où toutes les prières se terminent en louanges, il est raisonnable qu’en l’office de Laudes nous imitions la posture de ceux qui sont, comme on le dit dans l’Apocalypse, debout devant le trône, stantes ante thronum ». Après ce fatigant prélude à une journée d’écrasant labeur intellectuel et manuel, chacun se retirait dans sa chambre, et s’y reposait un peu, sauf M. Hamon. Le médecin de Port-Royal prenait cette heure-là pour lire et pour écrire, « non seulement parce qu’il était rempli de saintes pensées, mais aussi pour s’empêcher de dormir, regardant le sommeil d’après Matines comme un dangereux ennemi qui favorisait la paresse ».

À six heures et demie, les Solitaires disaient Primes, à neuf heures. Tierces, puis ils entendaient la messe, « se servant des pensées et des explications que feu M. l’abbé de Saint-Cyran a écrites dans les traités de dévotion pour méditer sur ces grands mystères ». À onze heures, ils récitaient Sextes, faisaient l’examen de conscience et se réunissaient ensuite pour le repas.

Le poisson et les œufs faisant défaut, dans cette maison fort éloignée des villages, ces Messieurs étaient obligés de manger de la viande « pour éviter de grandes incommodités ». Ils avaient changé le maigre perpétuel qu’observent certains religieux, en des abstinences « qui n’affaiblissent pas tant que le maigre, mais qui ne laissent pas de mortifier ». Il y avait là de « vieux routiers du désert qui jeûnaient à feu et à sang ». Quelques-uns demeuraient jusqu’à six heures du soir sans manger, durant le carême, et l’on accordait à la faiblesse des autres le secours d’un petit morceau de pain. Pendant huit mois, depuis la fin des chaleurs de l’été jusqu’à Pâques, excepté l’octave de Noël et de l’Épiphanie, ils ne prenaient qu’un seul repas le jour, et une légère collation le soir, avec le plus de simplicité et de sobriété possible. M. de Saci dînait souvent d’un quartier de pomme, et M. Hamon