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LA REVUE DE PARIS

l’émulation comme l’avancement au choix. Je ne fais aucune difficulté pour en convenir. Le tout est de savoir si cette émulation tant prônée est toujours féconde et ne se traduit pas le plus souvent par des inventions risquées, par des essais hasardés, par l’envie de faire, non pas mieux, mais autrement que le voisin, par le besoin de se singulariser plutôt que de se distinguer, par une réclame malsaine, par de petits syndicats d’admiration mutuelle se jalousant et se dénigrant les uns les autres : toutes choses à coup sûr plus dommageables à l’intérêt bien compris de l’armée que l’absence d’émulation. À cette agitation, qui enfante parfois des progrès, mais qui, le plus souvent, ne produit rien d’utile, nous préférons sans hésiter un système qui assure l’indépendance et la dignité des caractères. Est-ce mal entendre les intérêts supérieurs du pays ?

Qu’avaient-ils donc à espérer, ces hommes que, pendant quatre années, nous avons vus se dévouer sans faiblir à leur ingrat labeur ? Ils savaient cependant que le hasard seul décidait de leur avancement, quand il n’était pas à la merci des rancunes ou de l’intelligence d’un délateur anonyme ; et combien d’entre eux se sont vus ou rayés du tableau sans motif, ou invariablement sautés quand venait leur tour, comme si on avait pris à tâche de les dégoûter du métier ! Et pourtant leur zèle s’est-il jamais ralenti, les avons-nous vus mettre moins d’ardeur, moins d’entrain dans l’accomplissement de leur besogne quotidienne ? Leur a-t-il fallu, pour s’y donner de tout cœur, d’autres mobiles que le sentiment du devoir et de l’amour passionné de leur pays ? Qu’on ne vienne pas nous dire après cela que ceux-là seuls sont capables d’efforts et d’énergie que soutient l’ambition ! Nous savons, de reste, ceux qu’elle inspire ne sont pas toujours les serviteurs les plus utiles, et ce ne sont pas eux qui ont le plus de droits à notre estime.

Je n’ai pas la prétention d’avoir traité à fond la question. Il. me suffit d’avoir posé le principe et indiqué les grandes lignes. Si respectables soient-ils, les intérêts particuliers ne sauraient primer l’intérêt général. C’est parce qu’on ne veut pas se le dire, ou parce qu’on l’oublie chemin faisant, qu’on fait fausse route.