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garie, réduit à une existence errante et à des ressources précaires, un des représentants les plus en vue du parti constitutionnel, M. Milioukov, se trouvait à Paris, il y a quelques années, quand, dans une maison amie, la possibilité lui fut suggérée d’obtenir une chaire à Varsovie. Il se récria aussitôt… « Jamais il ne consentirait à aller là ! — Pourquoi ? » lui demanda-t-on. Sa réponse fut : « Parce que, à mon sentiment, l’histoire, à Varsovie, doit être enseignée en polonais par des Polonais. »

Il serait téméraire pourtant de prétendre que, dans l’ensemble, les coreligionnaires politiques de l’illustre historien se soient inspirés de sentiments aussi élevés. Ils ont obéi certainement à des motifs plus pratiques, qui se laissent aisément deviner. À la lumière d’événements récents, ils ont vu d’abord que, si elle suffisait à enchaîner des nationalités vaincues, la force seule ne mettait pas le vainqueur à l’épreuve des retours de fortune, où ce lien pouvait se relâcher. Au cours d’une guerre malheureuse, la force venant à s’épuiser, l’unité de l’empire avait paru menacée, en même temps que son action extérieure se ressentait plus réellement des embarras intérieurs que lui créaient l’indocilité ou seulement l’indifférence d’un grand nombre de ses sujets. De la Finlande au Caucase, c’était à qui répudierait toute part de responsabilité dans les désastres encourus, comme tout effort pour les conjurer ; et, au milieu du désarroi général, dans ce peuple de cent trente millions d’hommes, on a pu se demander ce qui restait de Russes !

Les Milioukov et les Mouromtsev ne pouvaient oublier cette leçon. En faisant d’autre part, à la même heure, le rude apprentissage delà liberté, ils devaient être amenés à reconnaître que toutes les libertés sont solidaires et que, sous un régime de violence et d’arbitraire, un oppresseur devient aisément un opprimé. Constatant aussi l’accueil que leurs aspirations et leurs tentatives rencontraient en dehors des frontières, ils ne manquaient pas d’apercevoir la présence d’un lien étroit, maintenu, en dépit de l’alliance franco-russe, entre deux autocraties intéressées à se prêter un soutien mutuel. Et ils se persuadaient que le nœud véritable de cette solidarité historique se trouvait précisément dans le problème