Page:Revue de Paris - 1906 - tome 4.djvu/438

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

parce qu’elle est irréalisable. Oui, irréalisable, et il n’y a pas de bon sens à vouloir russifier, à Varsovie, ne fût-ce qu’une famille polonaise, dont, à la même heure, un membre est d’aventure violemment germanisé à Posen, et dont un autre reçoit, à Cracovie, les bienfaits d’une culture polonaise, intensifiée par voie de concentration. « Prenez d’abord Posen et Cracovie, pourraient dire les Polonais aux Russes, et nous en reparlerons ! En attendant, ce que vous faites à Varsovie est odieux, surtout parce que c’est inutile ! »

C’est aussi extrêmement dangereux. L’heure d’une conquête intégrale a vraisemblablement passé pour les héritiers de la grande Catherine, et ce qui paraît plus probable, dans les perspectives d’un avenir plus ou moins lointain, c’est le retour à Posen même d’un régime qui, dans un passé relativement récent, y a favorisé le développement de l’élément polonais. Le « lapin » polonais, contre lequel la germanisation s’épuise aujourd’hui en efforts aussi vains que ceux de la russification, n’est si vivace que parce qu’on a laissé quelque temps l’animal croître et se multiplier en haine de la concurrence proche. Interdit à Varsovie, l’hymne polonais retentissait naguère, dans les deux camps ennemis, sur le champ de bataille de Sadowa ; et, confident d’une pensée impériale, qui, depuis, a tourné au vent d’impressions nouvelles, « l’amiral polonais » de Berlin est notre contemporain. Cet amiral, qui pourrait aussi bien être un général, ne reparaîtra-t-il pas à quelque horizon chargé d’orage ? Qui oserait l’affirmer ? Mais la russification à outrance comporte encore d’autres aléas et des inconvénients très actuels, dont quelques-uns ont peut-être échappé à l’attention de ses partisans.

Le système appliqué à Varsovie jusqu’à ces derniers temps était cruel. À quel point, un mot suffira pour en donner l’idée. En se soulevant récemment contre le régime qui venait de conduire leur pays à des désastres sans exemple, les libéraux russes n’ont pu oublier que ce régime, maintenant condamné, les Polonais en étaient arrivés à en faire l’objet de leurs vœux ! Privés de toute parité de droits avec les autres sujets de l’empire, même au milieu d’un peuple d’ilotes, ils faisaient encore figure de parias. La Russie russifiante leur donnait mille fois pis que ce qu’elle avait, et elle ne pouvait