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pas faire autrement. Elle devait recourir aux lois d’exception, les lois communes ne suffisant pas à vaincre des résistances obstinées ; et elle était obligée de déverser sur ce malheureux pays la lie de ses fonctionnaires, l’élite n’étant ni propre à porter la tâche qu’on lui imposait là-bas, ni disposée à l’accepter.

C’est l’histoire commune des entreprises de conquête et de colonisation, sans doute. Mais la seule excuse de ces entreprises, comme leur objet naturel, ne se trouvent-ils pas communément aussi dans la mission civilisatrice qui s’associe à leurs violences coutumières ? Il ne saurait venir à l’esprit d’aucun Russe de se prévaloir en Pologne d’un tel mandat. Quelques-uns ne répugnent pas à l’aveu d’une erreur capitale, commise sur ce point. Il fallait sans doute conquérir la Pologne, — disent-ils, — mais en imitant les conquérants romains de la Grèce. En répudiant cet exemple, en intervertissant l’ordre naturel des facteurs, la conquête russe ne pouvait devenir, en pays polonais, qu’une œuvre de destruction et de barbarie, d’abrutissement et de démoralisation. Dans ce sens, elle n’a malheureusement que trop réussi, et, employées à enseigner à des enfants polonais et catholiques, non pas le polonais et pas même le russe, mais le slavon d’église orthodoxe, des écoles aujourd’hui désertées n’ont servi qu’à fournir, dans ce pays, un taux d’illettrés — et de criminels — sans équivalent peut-être dans aucune contrée d’Europe.

C’est pour cela que, si fortement qu’elles soient motivées, les préférences polonaises pour la domination russe peuvent bien ne pas échapper elles-mêmes à un retour d’opinion. S’ils doivent rester engagés dans ce gouffre, plutôt que d’y sombrer avec tout l’héritage d’un passé glorieux, les russifiés de Varsovie ne seront-ils pas tentés, quelque jour, de chercher refuge dans le Charybde voisin ? L’image y rayonne du paysan polonais, vêtu, éduqué, dressé à l’allemande, mais conservant les vertus d’une race digne d’un meilleur sort, toute son honnêteté, toute sa vigueur, et, dans un esprit assujetti mais cultivé, la conscience entière de ses origines, dans une âme violentée mais non dépravée, le culte intact de ses traditions.

Par sa situation géographique, son développement histo-