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La femme, sans répondre, poussa le seau de côté et continua de fixer les yeux sur miss Bart qui passa dans un froufrou de dessous soyeux. Lily se sentit rougir sous ce regard. Que supposait cette créature ? Ne pouvait-on jamais faire la chose la plus simple, la plus innocente, sans s’exposer à quelque odieuse conjecture ? À mi-chemin de l’étage suivant, elle sourit de penser qu’une femme de ménage suffisait pour la démonter à ce point. La pauvre femme était probablement éblouie par une apparition si insolite… Mais de telles apparitions étaient-elles vraiment insolites dans l’escalier de Selden ?… Miss Bart ignorait le code moral qui régit les garçonnières, et de nouveau elle rougit en songeant que peut-être l’insistance de ce regard signifiait un éveil confus d’images antérieures. Mais elle écarta cette idée en souriant de ses propres craintes, et descendit rapidement, se demandant si elle trouverait un fiacre avant la Cinquième Avenue.

Elle s’arrêta de nouveau sous le porche xviiie siècle, explorant la rue : pas un hansom ! Mais, à peine sur le trottoir, elle se heurta à un petit homme reluisant, gardénia à la boutonnière, qui la salua et s’écria avec surprise :

— Miss Bart ? Eh bien… si je m’attendais !… Voilà une chance !

Et elle perçut entre ses paupières mi-closes une lueur de curiosité amusée.

— Oh ! monsieur Rosedale… comment allez-vous ?

Et, dans la familiarité soudaine du sourire qui parut sur la face de cet homme, elle vit le reflet de la contrariété que sa figure, à elle, n’avait pu celer.

M. Rosedale était là qui la dévisageait d’un œil approbateur. C’était un homme rondelet, au teint rose, le type du juif blond, avec d’élégants habits faits à Londres qui semblaient accrochés sur lui par un tapissier et de petits yeux obliques qui lui donnaient l’air d’estimer les gens comme s’il s’agissait de bric-à-brac. Il interrogea du regard le porche du Benedick.

— Venue en ville pour faire quelques courses, j’imagine ? — dit-il, sur un ton qui avait la privauté d’un contact.

Miss Bart recula légèrement, puis se lança dans des explications précipitées :

— Oui… Je suis venue voir ma couturière. Et je cours prendre le train pour aller chez les Trenor.