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furtive l’envahissait ; l’étincelle s’était éteinte en son âme, et le goût de la vie s’était évanoui sur ses lèvres. Elle savait à peine ce qu’elle avait cherché, pourquoi, faute de l’avoir trouvé, elle avait vu se voiler ainsi la lumière de son ciel : elle avait seulement conscience d’une vague sensation d’insuccès, d’un isolement intérieur plus profond que la solitude environnante.

Sa démarche se ralentit ; elle s’arrêta, regardant devant elle avec distraction et fouillant du bout de son ombrelle les fougères qui verdoyaient au bord du sentier. Cependant elle entendit un bruit de pas derrière elle, et elle vit Selden à son côté.

— Comme vous marchez vite ! remarqua-t-il. — J’ai cru que je ne vous rattraperais jamais.

Elle répondit gaiement :

— Vous devez être hors d’haleine ! Voilà une heure que je suis assise sous cet arbre.

— Pour m’attendre, j’espère ? — répliqua-t-il.

Elle repartit avec un rire incertain :

— C’est-à-dire que j’attendais… pour voir si vous viendriez.

— Je saisis la nuance, mais je ne m’en inquiète pas : car vous ne pouviez faire l’un sans l’autre… Mais n’étiez-vous pas sûre que je viendrais ?

— Si j’attendais assez longtemps, oui… mais, voilà ! je n’avais qu’un temps limité pour cette expérience.

— Pourquoi limité ?… limité par le déjeuner ?

— Non ; par mon autre rendez-vous.

— Votre rendez-vous pour aller à l’église avec Muriel et Hilda ?

— Non, mais pour revenir de l’église avec quelqu’un d’autre.

— Ah ! je vois… j’aurais dû savoir que vous êtes toujours richement pourvue d’alternatives… Et cette autre personne reviendra-t-elle par ici ?

Lily de nouveau se mit à rire :

— Voilà justement ce que je ne sais pas, et, pour le découvrir, il faut que j’arrive à l’église avant la fin de l’office.

— Parfaitement !… Et moi, il faut que je vous en empêche : auquel cas, l’autre personne, piquée de votre absence, prendra la résolution désespérée de rentrer en omnibus.