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LA REVUE DE PARIS

honteux et plus féroce, d’une oligarchie d’hommes qui s’étaient institués eux-mêmes les fondateurs d’une société nouvelle, faite à l’image de leurs ambitions.

Il ne pouvait être question cinquante ans après la première République de reprendre ce qu’il y avait de barbare dans sa tradition. L’abolition de la peine de mort en matière politique avait creusé entre le présent et le passé un abîme qu’on ne pouvait combler. Mais si la violence des moyens lui échappait, ce parti conservait la violence des doctrines. Il considérait la société comme un être avili et dégradé qu’il faut sauver en dépit de lui-même et dont on doit faire abstraction pour préparer les hommes de l’avenir.

Entre ces deux partis, entre ces deux tendances, le peuple, cet Hercule des temps modernes, était placé comme l’Hercule de la fable entre le Vice et la Vertu.

Tandis que l’un s’adressait à sa conscience, l’autre en appelait à ses colères : les uns l’adjuraient au nom du droit, les autres l’entraînaient par les séduisantes promesses d’un temps meilleur où il retrouverait en quelques heures les jouissances perdues d’un siècle : les uns lui promettaient la liberté, les autres le bonheur.

L’avenir dira à sa gloire qu’il sut se défendre des décevantes promesses et qu’il se rangea du côté des mâles devoirs. Mais, à certaines heures, les troubles fomentés, ses douleurs avivées, le désespoir d’une situation funeste savamment amenée, l’arrachèrent aux conseils de la raison est aux inspirations de sa noble nature. Ceux qui avaient préparé cette terrible ivresse saisirent ce court intervalle de délire, et lui mirent un poignard à la main, dont il frappa au hasard. Quand il se réveilla, hagard et désespéré, il avait sur la main une tache du sang de la Liberté. L’Histoire impartiale le plaindra, et maudira les règnes qui l’avaient abandonné à ses propres fureurs. L’accuser serait impossible ; le condamner serait impie.

Mais il faut en tirer cette conséquence que mettre à la charge du gouvernement toutes les fautes et le crime fatal de la situation, serait aussi profondément injuste que de les imputer au peuple lui-même. C’était le passé surtout qui était coupable.