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tout de même, du moins auprès du plus grand nombre, puisqu’il garda son siège jusqu’à la fin.

En ne faisant rien, son fils réussit mieux encore. Il avait le don de plaire avec facilité. Son indolence, qui semblait conquise sur ses plaisirs, pouvait passer pour de la méditation, et quant à ses plaisirs, ils étaient une forme de son activité et permettaient d’espérer qu’elle en saurait prendre d’autres.

D’ailleurs son élégance laissait à ses opinions quelque chose d’imprécis, de flottant et de gracieux, et, comme dans ce temps-là on n’était pas divisé par les haines violentes qui ont éclaté depuis, ce « rallié » paraissait n’avoir fait qu’une avance polie, qui ne le séparait de personne et n’était que le comble des bonnes façons.

Lorsque vint le soir du bal, succédant à la journée du comice, un air de fièvre courait dans Port-Saint-Pierre. Par petits paquets, on se groupait, on prenait la route qui montait vers le Haut-Saint-Pierre, et il en venait tant, que cela ressemblait à quelque migration, au déplacement de toute une fourmilière humaine.

Chez les Kérouall, on avait beaucoup hésité sur ce qu’on ferait. Jean ne se souciait guère d’aller à la fête, Marie ne donnait pas d’avis, Louise était de celui de son père ; mais ce fut Félicité qui l’emporta et entraîna tout le monde.

Au moment où l’on partait, Louise parut, tenant à la main un chapeau de paille, œuvre innocente de quelque ouvrière locale.

— Qu’est-ce que c’est ? — dit Félicité. — Veux-tu vite cacher cela ?…

Et, saisissant un bout de mousseline, elle le noua légèrement, avec une adresse de fée, autour des cheveux blonds.

— Comme ceci, tu peux aller.

Depuis longtemps elle blâmait ces modes « à l’instar de Paris » et regrettait le coquet mouchoir.

Troublant la paix du soir, des rafales de musique vinrent au-devant d’eux dès le tournant de la route. Parmi toute cette joie, seuls restaient graves, étrangers, dédaigneux, les grands arbres sombres rangés en bordure. Mais, la grille franchie, ils étaient, eux aussi, de la fête, reliés par des guirlandes de lumière, ornés de lanternes vénitiennes. Un nuage de poussière