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soulevé par les danseurs flottait sur le sable et sur les gazons, et, dans les allées, des couples se promenaient, respirant un instant, avant de reprendre leurs ébats. Ils s’y livraient de tout cœur, mais leurs danses semblaient des sauts et des bonds et le rythme et la grâce en étaient absents.

Les Kérouall s’étaient placés modestement au dernier rang des curieux. Soudain, et sans l’avoir vu venir, Louise aperçut le comte de Leuze, debout à son côté, vêtu de clair, souriant, charmant.

— Mademoiselle, — dit-il, — voulez-vous m’accorder la prochaine danse ?

Le comte ouvrait d’habitude le bal avec la femme de son régisseur et s’en tenait là. Interdite, elle n’osait répondre ; Félicité, la poussant, lui dit :

— Allons, va, petite.

Comment danserait-elle ? Légère et adroite, elle s’abandonna au bras de son cavalier, qui l’enlevait, l’emportait, la faisait voler au-dessus du sol. Tout à coup, un peu à l’écart, dans un bosquet, ils s’arrêtèrent. Louise ne vit plus qu’une immense lueur qui tournait, tandis que la terre se dérobait sous elle. Le comte de Leuze la gardait dans ses bras.

— Mademoiselle, — lui dit-il, parlant bas et très vite, — ceci est un moment que je guettais depuis longtemps. Je m’intéresse beaucoup à vous. J’ai des choses à vous dire. Venez me voir demain, vers le soir. Vous entrerez par la petite porte qui est au bas du mur de clôture : vous la trouverez ouverte et je vous attendrai dans le pavillon, à gauche de l’allée.

M. le comte de Leuze avait la grande habitude des femmes, mais il ne s’était guère occupé des fillettes. S’adressant d’ordinaire à des personnes averties, il ne comprit pas que son langage mesuré et volontairement froid pouvait déconcerter une ingénue. Louise était romanesque ; la grossièreté de la jeunesse du pays la froissait, mais les paroles irréprochablement correctes du gentilhomme la laissèrent troublée et incertaine. Elle se dit qu’elle en causerait avec tante Félicité, à qui elle trouvait beaucoup d’esprit.

Le lendemain matin, la tante et la nièce allèrent porter des lettres à la poste. La saison s’avançait, les clientes rentraient. Félicité était rappelée par les affaires.