Page:Revue de Paris - 1908 - tome 2.djvu/266

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

pas mécontenter Félicité, si bonne pour eux et dont l’amitié pouvait être si utile à leur fille !

Ils consentirent, Louise reverrait ses parents aux vacances. Et d’ici là, si elle s’ennuyait, si l’air de la ville ne lui valait rien, il serait facile de s’en revenir.

L’heure du départ arriva. On était réuni sur la berge pour les adieux. Les petites s’attachaient à la robe de leur grande sœur, Jean restait silencieux et morne, et Marie, tout agitée, recommandait surtout à sa fille de bien faire attention à ces voitures qui écrasent tant de monde à Paris !

— Sois sans crainte, ma bonne Marie, — dit Félicité, — je te promets que cette petite ne sortira pas seule de longtemps : les fillettes, là-bas, courent bien d’autres dangers que celui d’être écrasées.

Elles s’embarquèrent, et l’on resta se guettant, se faisant des signes de la main, disputant à la distance, qui toujours croissait, des formes de plus en petites et imprécises.

Seul se dressait encore, dominant le coteau, Château-Gorsac tout blanc, flanqué de ses quatre tours aux toits d’ardoise. À ses pieds, comme une ample draperie, s’étalaient ses vignes, qui donnent un si joli vin blanc sec, « troisième » cru classé, bien connu des amateurs…

On dina à la gare en arrivant à Bordeaux, avant de prendre l’express de nuit. Puis le train partit, roula à travers des pays de gloire et de beauté sur lesquels l’ombre jetait le mystère de ses voiles bleus. Et, dans le bruit et l’appel des stations et les secousses et les arrêts, le trajet s’accomplit. Sous le matin grisâtre, faisant retentir les longs sifflets de l’approche, le train s’engagea parmi les innombrables réseaux qui, rayonnant autour de la grande ville, semblent comme le symbole de la complication de cette vie où l’on va entrer.

Le réveil des villes est sans grâce. À peine sortie de la gare, la tête cassée par le bruit des malles jetées avec fracas sur l’omnibus, Louise regarda autour d’elle. Naïvement elle crut que Paris allait lui apparaître dans sa beauté célèbre, tous ses monuments groupés en quelque vue panoramique vaste et prestigieuse. Elle vit des quais pâles, sévères, laborieux, où parmi la poussière volaient les feuilles sèches, l’horizon embrumé, sali de fumée, et, tout près, les charrettes munici-