Page:Revue de Paris - 1908 - tome 2.djvu/265

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Petite, — dit-elle tout à coup, — parle moi franchement, te plais-tu dans ce pays ?

Elle l’observait depuis son arrivée. Elle la voyait toujours douce et d’humeur égale, elle ne la croyait pas heureuse.

Occupée à son métier de couturière, Louise tout le jour cousait, assise sur le balcon. Puis, vers le soir, elle s’accoudait, et, comme du temps où elle était encore petite fille, son regard errait au loin, parmi les lueurs du soleil couchant. Et il lui semblait que dans les nuages apparaissaient des pays merveilleux, des Labradors, des Florides, des Antilles, dont les marins qui furent ses ancêtres avaient mis en elle les brillantes images. Puis le soleil s’éteignait, l’horizon devenait sombre, Port-Saint-Pierre se refermait sur elle comme une prison.

Avant de répondre à sa tante, Louise réfléchit. Elle se disait qu’en avouant son ennui elle trahirait l’affection qui l’unissait à ses parents, à ses petites sœurs, mais sa sincérité l’emporta :

— Non, ma tante, — dit-elle, — je ne m’y plais pas, mais je sais que j’ai tort et que c’est mal.

Félicité la rassura. Sa résolution fut prise : elle emmènerait Louise à Paris.

Comme elles s’en retournaient, la nièce conta à sa tante l’incident de la veille, et les propos du comte de Leuze. Alors Félicité aperçut comme en une vision la pauvre innocente livrée aux aventures rurales, et M. le comte de Leuze, qui passait pour généreux, entr’ouvrant son portefeuille armorié pour en tirer un billet de mille francs.

« Il se faisait grand temps que j’arrive ! » se dit-elle avec émoi.


IV


Ce ne fut pas sans peine que Félicité décida les Kérouall à lui confier Louise. Jean surtout tenait à sa petite Bretonne, la mêlait à ses rêves, faisait le projet de la mener en mer vers les côtes de son pays, pour lui montrer les belles grèves et ces pointes et ces rochers contre lesquels, d’une colère inlassable, les lames viennent se briser.

Mais Marie, plus pratique, représenta à Jean qu’il ne fallait