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quelques bons achats à votre exposition… Et, comment va-t-elle, cette exposition ?

Hélas ! elle ne marchait pas fort : on venait en passant, on venait pas mal et on approuvait ; il y en avait même qui approuvaient beaucoup, mais ce n’était jamais ceux qui auraient pu acheter.

— Les capitaux sont toujours muets, — interrompit Toussard, — et généralement sourds. Ce qui est absurde, c’est que dans quelque temps tout cela se payera horriblement cher. Il y aura eu l’intermédiaire, l’heureux intermédiaire, le plus heureux des trois, et, dans ce cas, aussi le plus perspicace… Enfin, mon bon ami, soignez-vous bien, tâchez de vivre assez longtemps pour être contemporain de votre gloire.

Madame Flandin, qui n’avait pas ouvert la bouche, considérait dans une surprise indignée cette Louise dont la beauté lui paraissait vraiment déplacée.

Toussard s’en aperçut et dit très sérieusement :

— Vous avez raison de regarder mademoiselle, c’est une curiosité. Elle est engagée chez Barnum pour y représenter le type parfait de la race caucasique.

Ce propos, d’une gaieté facile, tomba dans le mépris, l’indifférence ou l’inattention. Mais Toussard n’était pas vaniteux et se donnait des divertissements pour lui seul.

Félicité se leva en disant qu’elles avaient voyagé toute la nuit et que sa nièce devait tomber de sommeil. À ce moment, Flandin tira d’un carton resté à ses pieds une aquarelle qu’il remit à Toussard :

— C’est le croquis du Pont des Arts que vous m’avez demandé l’autre jour : j’ai terminé le premier plan, j’espère que vous en serez content.

Et le pauvre grand artiste remit son feutre pointu, et s’en alla à travers la nuit avec sa femme ridicule et méchante, tandis que la petite Louise Kérouall s’endormait et rêvait qu’elle montait dans un char qui avait la forme d’un chapeau et qui l’emportait, l’emportait…


V


Un Paris matinal d’octobre, sans volupté ni flânerie, des employés, des ouvrières allant d’un pas hâtif parmi les voi-