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que le coiffeur et le tailleur avaient apporté de science à parfaire ces chefs-d’œuvre vivants, malheureuse aussi de se croire si gauche, si maladroite, si villageoise !

La toilette des salons s’achevait. Sur leurs champignons, les chapeaux, tirés des armoires étaient rangés en ordre de bataille.

— Viens, Louise, viens aider ces demoiselles ! dit Félicité.

Deux ou trois jeunes filles se tournèrent du côté de cette Louise qu’on invitait à venir aider et grognèrent :

— Ces nouvelles, ça veut tout faire et ça ne sait que gêner.

« Cette fille-là, quand l’envie lui en viendra, aidera surtout un monsieur à se ruiner ! », — pensa Laure, une « première » qui était très jolie, et connaissait la vie.

Cependant le magasin s’animait peu à peu. Quelques clientes matinales se présentaient, mais leurs chapeaux n’étaient pas prêts à essayer : on les priait de revenir. Des ouvrières passaient, allant à la « manutention » chercher des fournitures, et les vendeuses inoccupées se racontaient leurs affaires en regardant dans la rue.

Enfin, sur le coup de midi, madame Rachel Block arriva. Grande, mince, elle avait dû être très belle. Ses yeux noirs, ses cheveux blancs, qu’elle poudrait, sa mise un peu théâtrale la faisaient ressembler à quelque tragédienne du xviiie siècle, à cette Sarah Siddons, dont les maîtres de l’école anglaise ont immortalisé les traits. Juive d’origine, d’une famille d’artistes adonnés à la musique et à la peinture, elle n’avait pas débuté dans le commerce, et les personnes qui fréquentaient les spectacles vers la fin de l’Empire se rappelaient avoir admiré cette tête fine et expressive dont l’ombre des baignoires voilait mal l’éclat.

Puis, un jour, elle disparut. Après la guerre, un élégant magasin s’ouvrit sous son nom, rue de la Paix, et attira vite une brillante clientèle. On raconta qu’elle s’était mariée, que la maison, très sérieusement commanditée, était dirigée par des personnes habiles et d’un goût sûr.

Et maintenant, après vingt ans de succès avérés, Rachel Block promenait sa grâce un peu nonchalante à travers ses salons fréquentés par le plus beau monde. La connaissance du métier lui était venue avec la pratique. Elle savait d’un regard