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nombre. Elle donna quelques ordres, s’enquit des commandes pressées, puis, appelant Louise :

— Mesdemoiselles, voici ma nièce que je vous présente.

Une cinquantaine de têtes se levèrent de dessus leur ouvrage et apparurent sous la clarté crue du jour rasant. Dans le négligé et le dépeigné de la tenue de travail, aucune n’était jolie, mais toutes paraissaient vives, intelligentes, fines, de cette finesse de Paris, qui s’aiguise chaque jour aux pierres mêmes de ses trottoirs. Une petite secousse courut dans les rangs, puis jaillit un filet aigre de murmures. Comme on redoutait Félicité, une jeune fille dit simplement :

— Nous sommes charmées, mademoiselle, de faire votre connaissance.

Mais ensuite elles s’en donnèrent :

« Vraiment, on s’en fichait un peu que sa nièce fût belle !… fallait-il pas, peut-être, l’applaudir comme un numéro de café chantant ?… »

Et Virginie, qu’on n’employait qu’à coudre des fonds de chapeaux parce qu’elle n’avait pas de soin, ajouta :

— Elle fera pas mal de lui mettre une courroie pour la tenir en laisse, et de lui faire graver son nom sur une plaque avec son adresse…, si elle venait à se perdre…, d’autant qu’elle a l’air joliment gniole !

Et Marguerite s’écria :

— Ayez pas peur, ça ne restera pas dans les modes une semaine : ça sera levé avant !

La grande Suzanne, l’artiste de l’atelier, celle qui chiffonnait un nœud comme personne, ajouta tristement :

— Bien sûr que si j’avais cette figure-là, je ne traînerais pas ici. Mais je suis laide et j’ai du talent : alors je me marierai.

Cependant les « vendeuses » arrivaient, une à une, mal éveillées encore, plus fatiguées que ne le comportait leur état, mais toutes élégantes, charmantes, mises en perfection. Et, parmi les voiles qu’elles dénouaient, dans le frisson de leurs jupes et les plis soyeux de leurs corsages, flottait un parfum discret de volupté et d’amour.

Blottie dans un coin, Louise les regardait, surprise qu’il existât des créatures de tant de grâce et de beauté, ignorant ce