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les fantaisies, tous les caprices s’étalaient. On voyait des diadèmes de reines et des couronnes de pairesses, et des couronnes de duchesses, faites de feuilles de fraisiers, et des plastrons de pierreries et des plaques et des agrafes de ceintures pour souverains d’Orient et pour maharajahs des Indes, et des bonnets surmontés d’aigrettes pour le shah de Perse…

Parmi ces éblouissements, Félicité montrait en passant à Louise les portes des temples célèbres de la couture, tous voisins et groupés par une sorte d’attirance qui faisait de cette rue de vingt-cinq maisons un des endroits où vient se déverser la fortune du monde. Or tiré des mines du Cap ou du Klondyke sous la sueur des noirs et des jaunes, pétroles jaillissant du sol, continents traversés, perforés, océans soumis, profondeurs creusées par des milliers de bras, épuisant des tribus entières, luttes formidable des géants de l’agio, royauté des mers, royauté des terres, royauté des fers et des aciers, royauté des porcs et des moutons, royauté des prairies et des forêts, efforts démesurés des machines à fondre, à broyer, à transporter, sources incalculables de richesses, — tout affluant, aboutissant là, venant arroser cette rue insatiable, couler en lingots, en chèques, en billets, autour de ces joyaux, de ces parures, de ces chiffons sans prix, nuages de tulle, ruches, plissés, bouillonnes, gazes lamées, merveilles impalpables, suavités, vapeurs…

— Mademoiselle, voulez-vous accepter oune zolie bague ? dit, d’un fort accent « rasta », un beau brun aux cheveux luisants arrêté derrière Louise.


VI


Louise entra dans sa vie nouvelle comme si elle n’en eût jamais connu d’autre. Tout de suite elle fut de cette ville dont l’âme légère et fine pénètre les sens, et court ainsi qu’un feu subtil à travers l’opacité des corps. Fille de marins, elle avait, si l’on peut dire, l’instinct de se laisser porter sur les flots, et elle s’abandonnait, souple et ingénieuse, à la puissance des choses. Elle fut chez elle dans le salon de la maison de modes, et aussi dans les rues élégantes qui semblaient comme la patrie