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naturelle de sa beauté claire et charmante. Telle une fleur plantée en un riche terrain et qui, de l’air et de l’eau qui passent, et du rayon qui luit, et du sol en qui elle plonge, fait le rose éclatant de ses pétales.

Cette silencieuse avait un don rapide d’assimilation qui surprenait. Au bout de peu de jours, elle savait rassortir, opposer, faire chanter les couleurs. Bien mieux, elle savait répondre aux clientes avec gentillesse et à-propos.

Dès le lendemain de son entrée au magasin, madame Block avait dit à Félicité :

— Elle est terriblement jolie, votre nièce, et dépasse de beaucoup l’agrément réglementaire que nous demandons à nos vendeuses. Mais tant pis, nous nous arrangerons : car elle paraît intelligente… et puis elle est votre nièce, ma bonne Félicité !

Toussard s’était pris d’amitié pour Louise ; il l’estimait, lui trouvait du goût et des curiosités. Il lui prêtait des livres, et, quand il en avait le temps, il l’emmenait dans les musées et vers ces coins pittoresques du vieux Paris qui disparaissent de jour en jour devant l’accroissement de la ville nouvelle.

Un matin, comme la jeune fille arrivait rue de la Paix, le petit chasseur qui se tenait au bas de l’escalier lui remit une lettre. Cela était expressément défendu, et l’on avait dû acheter assez cher la petite âme vénale enfermée sous la tunique à triple rang de boutons de cuivre. Louise prit la lettre par distraction et la glissa dans sa poche. Mais, tout de suite, la chose lui parut méprisable. Le soir, elle la montra à sa tante, qui haussa les épaules et lui dit de ne plus accepter de telles correspondances.

Écrite d’un style naïf et ampoulé, cette missive pouvait être également l’œuvre d’un adolescent ou d’un vieillard. L’emphase et l’emploi fleuri des mots se retrouvent aussi bien au matin qu’au soir de la vie ; l’aurore a ses roses comme le couchant. Méprisée et jetée au vent, cette lettre toutefois fut la première d’une série dont il eût été bien impossible, dans les années qui suivirent, d’évaluer le nombre. Madame de Staal de Launay a dit que les conquêtes qui intéressent le plus une femme sont la première et la dernière. À ce titre, Louise garda le souvenir de la lettre remise par le petit chasseur.