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chienne par son père, hongroise par sa mère, il était arrivé tout enfant à Paris, à l’époque où un krach mémorable effondrait en quelques mois la place de Vienne, ruinant la petite et la moyenne finance et forçant nombre de familles à s’expatrier. M. Epstein père, atteint lui aussi par ces désastres, vint en France avec sa famille. Il y trouva de nombreuses relations. Parmi les alliés de sa femme, brillamment apparentée à la noblesse magyare, il ne rencontra qu’un mince secours, mais lui-même tenait par des racines profondes au monde des affaires. De sang mixte, que les mariages et les conversions tendaient depuis plusieurs générations à purifier, ce fut tout de même l’antique reliquat, les gouttes persistantes du vieux sang d’Orient, incorrigiblement sémite, qui le sauvèrent.

Autour de lui, les appuis s’empressèrent, et, comme il avait gardé quelque élégance dans la détresse, son relèvement prit très vite l’éclat de la fortune. Sa maison, que ne fréquentaient d’abord que des gens de Bourse, devint agréable grâce à la baronne qui sut attirer ses compatriotes, et, parmi eux, des attachés d’ambassade, des sportsmen et des musiciens en renom.

Fernand avait grandi dans ce milieu pittoresque et vivant. De bonne heure, il laissa voir des dons variés, beaucoup de vivacité et de souplesse d’esprit, et de l’application quand il le fallait. C’était un enfant charmant, doux et impétueux et cachant sous la grâce une volonté tendue et tenace.

À vingt et un ans, il entra dans les affaires. La maison de coulisse fondée par son père était alors dans une prospérité à laquelle une récente commandite allait donner un essor nouveau. Fernand montra tout de suite des aptitudes remarquables. D’ailleurs, rien dans ce monde de la finance ne lui était étranger : de tout temps, il en avait su le jargon, qui avait comme bercé son enfance, et les « primes » et les « reports » et les « compensations » lui représentaient des choses vivantes, émouvantes même. Bien souvent, chez son père, il avait senti courir cette fièvre qui s’allumait brusque et violente parmi ces gens soucieux, et il avait deviné ces âmes qui battaient d’un autre pouls, du pouls sourd, cruel, déchirant parfois, de la spéculation.

Chez Fernand, se mêlait à l’âpre énergie d’une race opprimée l’ambitieuse ardeur d’une race conquérante, et il