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avait résolu de devenir un grand financier. La pensée toujours en éveil, agitée de projets, il ne jouissait que hâtivement de tout ce que lui offrait la jeunesse, et, quoique sensuel et avide de plaisirs, il n’y rencontrait guère le délassement ni l’oubli complet, atteint à son tour de cette fièvre redoutable qui l’emportait toujours au delà, vers le lendemain plein de doute et d’espoir.

Et ainsi près de dix années s’étaient écoulées, et la maison Epstein, habilement dirigée, profitant d’un très heureux courant d’affaires, était dans les plus considérées de la place. Quoique son ambition veillât toujours, Fernand connut enfin quelque sérénité.

Mais les succès faciles de sa vie galante ne l’amusaient plus qu’en passant. Romanesque, et trempé à son insu de sentimentalité germanique, il jugeait les Parisiennes légères, blagueuses, sans poésie, et il n’en avait sérieusement aimé aucune.

Or, en ce matin de mai qui avait fait apparaître Louise à ses yeux, il se trouvait précisément libre de cœur et l’esprit assez dégagé de soucis. L’image de la jeune fille vint donc se couler en une âme presque limpide et elle s’y glissa d’une telle force qu’il n’eut plus d’autre pensée que de cette blonde d’aspect modeste et de surprenante beauté.

Comme les amoureux véritables, il fut maladroit. Sa visite au magasin ne l’avait conduit à rien ; il n’osait écrire ou envoyer des fleurs, ayant su que ces avances seraient mal prises. Du moins la verrait-il, chaque jour, un instant, le matin et le soir, à l’entrée et à la sortie du magasin.

Mais il s’aperçut vite que ce jeu ne pourrait durer sans ridicule, et ainsi advint-il qu’à cause d’une petite demoiselle de modes le baron Fernand Epstein, homme riche, coté, élégant, devenait très malheureux.

Par-dessus les livres de compte et les bordereaux, l’image de Louise se posait sans cesse, toute rose elle-même de se sentir tant regardée.

Il se mit alors à la suivre de loin, se montrant tout à coup à l’angle d’une rue, l’œil avide et fiévreux, de sorte que la jeune fille croyait le voir partout et se demandait, inquiète, si les voies publiques n’étaient pas machinées. Bientôt il lui sembla