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chait à grands pas entre les caisses d’orangers alignées et jetait à travers les parfums légers et tendres ses paroles de colère.

— Je veux vous voir, vous ne pouvez pas me refuser de vous voir et de vous parler. Mais je veux que ce soit ailleurs que dans un lieu public, où déjà on nous observe.

À droite, sous les arbres, ils entrèrent dans le grand cercle magique, tracé à la craie, d’une partie de billes. Des enfants poussèrent des cris tumultueux ; les billes roulaient, heurtaient leurs pieds : ils s’échappèrent, allèrent jusqu’à un groupe de chaises. La violence de Fernand était tombée tout à coup : il s’assit, très las et défait, et les rayons de soleil qui filtraient éclairèrent sa détresse et sa fatigue.

— Vous ne savez pas, — dit-il, — vous ne pouvez pas savoir à quel point je suis malheureux.

Des larmes paraissaient dans ses yeux clairs, et le noble jardin de Le Nôtre, de si belle et si grande tenue, aujourd’hui profané, livré comme un carrefour aux passants hâtifs, couvrit de ses ombrages appauvris une douleur sincère.

Se rapprochant de Louise, Fernand ajouta :

— Sans doute, il vous est difficile de vous échapper ; mais je serai, le soir, tous les soirs, en face de chez vous en voiture : vous viendrez quand vous pourrez. Je vous assure que vous n’avez rien à craindre : je suis auprès de vous tremblant comme un enfant ; mais promettez, dites que vous viendrez.

— Je tâcherai, — répondit Louise,

Elle lui abandonna sa main, qu’il baisa longuement. Les deux jeunes filles s’enfuirent, se glissèrent dans le fiacre qui les avait attendues à l’angle de la rue de Castiglione : elles n’avaient pas un instant à perdre.

Lorsqu’elles ouvrirent la porte du magasin, en face d’elles, à côté de la caisse, elles aperçurent Félicité.

— D’où venez-vous mesdemoiselles ? dit-elle, vivement.

On s’était concerté : Éliane expliqua que Louise l’avait accompagnée pour la conseiller dans le choix d’une chemisette.

— Ah ! c’est Louise maintenant qui donne des conseils ! — fit ironiquement Félicité. — Je croyais, Éliane, que vous n’aviez besoin de l’avis de personne…

Le soir, comme elles rentraient toutes deux :