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malgré tout, je n’ai pas cessé, je ne cesserai jamais d’être un honnête homme.

— Cependant — interrompit Félicité, — vous m’avouerez que, dans le cas présent, vous n’en tenez pas précisément la conduite. Nous serons, sans doute, d’accord là-dessus, monsieur le baron.

Pendant ce dialogue, ils allaient le long de l’avenue, et l’habitude du monde et des convenances était à des titres différents si forte chez ces deux personnes qu’ils avaient repris un ton qui, pour des passants, semblait celui d’une conversation.

— Madame, je ne veux pas me défendre, — continua Fernand, — mais je vous demanderai pourtant de me juger. J’ai conçu pour votre nièce une passion qui me fait perdre le repos et la santé. Je ne songeais pas à l’enlever comme vous l’avez cru peut-être ; je voulais seulement lui parler, tâcher de l’émouvoir, lui inspirer quelque pitié. Je sais, madame, à quels devoirs s’engage celui qui, ayant fait un pareil rêve, le poursuit avec une ardeur désespérée. Croyez que ces devoirs, je les revendique tous, et que je mettrai aux pieds de Louise Kérouall ma vie, ma fortune, tout le dévouement, tout l’amour dont je suis capable.

— Monsieur, — reprit Félicité, — cette enfant m’a été confiée par son père et sa mère, qui sont des gens très honnêtes, très pauvres, et qui ne savent rien de la vie. En me chargeant d’elle, j’ai assumé une responsabilité, à laquelle je serais inconsolable de manquer. J’ignore quelle sera le sort de la pauvre Louise, car l’avenir d’une jeune fille, c’est un saut dans l’inconnu. Mon devoir est simple, et je m’efforcerai de le remplir. Je dois la protéger, la mettre en garde contre les dangers qui l’environnent. Et vous, monsieur, qui êtes arrivé, je le vois, hélas ! à la troubler profondément, je vous supplie de ne pas chercher à l’entraîner, par des protestations et par l’étalage de sentiments moins sérieux, sans doute, que vous ne le croyez vous-même. Ce ne serait de votre part ni généreux ni honorable.

— Madame, — dit Fernand, — je vous jure que ma vie est attachée au bonheur que je poursuis. Je vous jure aussi de ne plus rien tenter à votre insu, et je vous remercie du plus profond du cœur d’avoir mis quelque indulgence à m’écouter.