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Depuis quelque temps, il semblait que sa vie se déroulât sans que sa volonté y fût pour rien. Au haut de l’escalier, Fernand ouvrit une porte :

— Voici votre chambre, — dit-il en se retirant.

Cretonne rose et bambou, la chambre était avenante et banale comme la dame caissière elle-même. Mais, par la fenêtre, on voyait monter les grands arbres, et sous la lune, dans son plein, luisaient les marbres augustes, contemporains de Louis XIV. Louise ôtant son chapeau, se vit dans la glace, pâle et toute drôle. Elle s’assit sur un petit fauteuil au coin de la cheminée. Elle ne pensait plus à rien : la chose qu’elle prévoyait lui était apparue de tant de façons, si diverses, si variées et même si extravagantes, qu’elle avait usé toute idée et ne sentait plus qu’un grand émoi, qui la tenait toute glacée, et faisait battre son cœur jusque dans sa gorge…

La lune jetait maintenant au travers de la chambre une grande flèche d’argent. Louise ferma les yeux et la lueur blanche l’enveloppa, la vêtant de rayons comme une princesse de féerie. Alors, peu à peu, doucement, sa pensée s’éteignit, sa tête se renversa, elle s’en alla à l’oubli, au sommeil. Dans l’abandon d’elle-même, les bras entr’ouverts, elle était touchante comme une petite fille égarée au fond d’un bois.

Un coup léger, frappé à la porte, la fit tressaillir, se dresser. Elle ne répondit pas, la voix morte ; elle ouvrit. Une chaude étreinte la saisit, l’enlaça, tandis qu’une brûlure lui fermait les lèvres. Elle ne bougeait pas.

— Louise, ma petite Louise ! — dit Fernand.

Puis, s’étant détaché d’elle, il la regarda :

— Vous êtes jolie ! ce que vous êtes jolie !

Et ces mots, qu’il répétait comme un refrain et comme une litanie, s’adoucissaient en murmure, et devenaient le souffle d’une plume dont il l’aurait éventée.

Il ajouta :

— Et vous êtes sensationnelle… Avez-vous vu l’émoi que vous jetiez tout à l’heure dans le restaurant ? Tous, hommes et femmes, les yeux arrêtés sur vous, ils en oubliaient de manger. Jusqu’aux garçons qui restaient figés, leurs plats à la main. Vrai, c’était comique. Une autre fois, je vous cacherai.