Page:Revue de Paris - 1908 - tome 2.djvu/297

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

pratique, peu nourrie d’idéal, et ne croyait pas mal faire en envoyant sa nièce à Versailles, avec un joli garçon, riche et follement épris. Elle pensait que c’était une façon de débuter dans la vie qui en valait bien une autre, et que peut-être Louise ne retirerait de cette aventure que des choses excellentes. Enfant du peuple, vivant sur les confins du monde, dont, en femme avisée, elle savait tous les dessous, Félicité se disait que la régularité de la vie, si propice aux classes bourgeoises, est souvent bien lourde aux filles pauvres, et qu’en somme on fait comme on peut pour se tirer d’affaire.

Lorsque Fernand sonna à la porte, Louise était prête. Sa tante lui tendit son petit sac et lui caressa affectueusement la joue en disant :

— À demain…

Dans le coupé qui les conduisit à la gare, un peu de gêne fut entre eux, mais en wagon on se mit à causer du dîner qu’on allait faire, des plats que l’on préférait, puis on se raconta quelques histoires domestiques.

Là-bas, en Gironde, disait Louise, dans la maisonnette, au bord de l’eau, tout était cuit à la graisse et à l’ail et le pays entier sentait l’ail ; les baisers que les garçons donnaient aux filles en étaient tout embaumés.

La famille Epstein avait gardé le goût de la cuisine viennoise. On y servait la volaille à la compote, et les poissons accommodés aux raisins de Corinthe. Et l’on s’attendrissait devant des monceaux de pâtisserie.

Versailles. Ils se rendirent tout de suite au restaurant. Des salons clairs, d’une grande distinction, quelque chose de « louis-quatorzien » qui intimidait un peu ; mais les maîtres d’hôtel souriants, leurs menus à la main, rassurèrent vite. On dîna gaiement, lentement, on but un peu de champagne. Après le dîner, Louise s’attarda dans le petit salon, à regarder des vues au fond d’un stéréoscope. Il y en avait tant que cela n’en finissait pas. Fernand s’exaspérait, mais n’osait rien dire.

Les salons étaient maintenant presque vides, les garçons erraient, désœuvrés, maussades.

— Mignonne, je crois que l’on n’attend plus que notre départ pour éteindre : voulez-vous que nous montions ?

Louise se leva, automatique, et suivit.