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Maintenant Louise n’avait plus son angoisse du premier jour : elle savait. Même elle éprouvait quelque douceur à se voir tant aimée. Mais elle sentait bien qu’une chose lui restait déconcertante, et elle en demeurait troublée.

Dans la chambre à coucher où des rideaux aux légères arabesques d’or tamisaient la lumière, devant le lit béant sous l’amas des coussins de dentelle et de soie, il lui semblait qu’elle allait prendre part à quelque rite étrange dont le sens lui échappait encore.

Au moment où elle posait la tête sur l’oreiller, Fernand lui attacha au cou un joli rang de perles :

— Ce n’est rien encore, — fit-il, — mais un jour je veux que tu aies les plus beaux, les plus rares bijoux.

— Mon ami, — reprit Louise, — ne dites pas de folies : je suis une pauvre petite fille, que vous avez déjà bien trop comblée.

— Ma bien-aimée, tu m’as apporté une telle joie que je voudrais mettre à tes pieds tous les trésors du monde. Comme une fée, tu es entrée dans ma vie, et les ombres ont fui devant toi… Car je crois aux fées, moi. Quand j’étais enfant, ma mère me racontait beaucoup de légendes, des Märchen, comme disent les Allemands, et j’y voyais passer des fées, de belles dames en robes d’or, avec de longs cheveux d’or répandus sur leurs épaules. Quand je t’ai vue, je t’ai reconnue, mais aucune n’était aussi belle que toi.

Il la prit dans ses bras, et ils s’aimèrent sous l’ombre dorée, parmi l’odeur des roses…

Et ce fut une suite de jours d’amour, dans le silence de la ville désertée, au milieu des roses exhalant leurs parfums comme des cassolettes.

En cette glorieuse saison d’été, dite morte-saison dans les maisons de modes et les ateliers de couture, Louise quittait le magasin plus tôt et venait rue d’Anjou. Puis Fernand la reconduisait chez elle, discrètement et sans se montrer.

Cependant M. Toussard avait prolongé son absence. À Lyon, il s’était attardé à relever au Musée des tissus ces beaux motifs Louis XV où les fleurs sont traitées avec un réalisme et un souci de la nature que les Orientaux seuls avaient atteint jusque-là. Puis il était allé voir à Turin, à Milan, à Gênes, des