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d’ordinaire aux détails matériels. Cet homme d’affaires était un grand idéaliste. Plus que les poètes, il vivait dans le rêve et la fièvre : car, tandis que ceux-là donnent à leurs songes une forme et une substance, lui, au contraire, peuplait la réalité de ses visions.

Un célèbre artiste anglais, fabricant de papiers peints, connu aussi pour ses beaux vers et ses opinions socialistes, avait garni et décoré l’appartement du baron. Dans ce temps-là, le style anglais, dénommé depuis « art nouveau », ne se trouvait pas encore à bon compte dans toutes les boutiques. Singulier et rare, il alliait à la perfection du travail des bois la fantaisie chimérique des étoffes, d’un goût si vieux qu’il paraissait venir du fond des légendes et des contes de fées. Et les grandes fleurs mystérieuses mettaient quelques frissons parmi ces meubles d’une élégance un peu sèche, d’un fini et d’une commodité qui se prêtaient à toutes les exigences de la vie moderne. Souvent, aux heures de lassitude, Fernand se plaisait à suivre le long des murs les branches qui montaient autour de lui en haies enchantées.

Dans le cabinet de toilette, le tapissier avait hasardé un peu d’Orient. Des rideaux de soie rose flottaient devant de fins moucharabys, et des cuivres délicatement ciselés garnissaient la toilette, sous forme de vasques, de cuvettes et d’amphores.

Ce fut très peu de jours après le voyage à Versailles que Louise vint pour la première fois au logis de Fernand Epstein.

Dans la salle à manger, où il la reçut d’abord, des fleurs en gerbes emplissaient des vases de faïence, — fusées d’iris et de glaïeuls s’élançant parmi les roseaux et les feuillages.

Des velours sombres drapaient les fenêtres et les portes, et sur la table s’étalait un grand massif de roses. Il y en avait de pâles et d’ardentes, de vives et de mourantes, de diaphanes, de sombres, de presque tragiques, France, Niel, Gloire de Dijon, Malmaison et les dernières venues, les Caroline Tousté, les Capitaine Christic, presque toutes étaient là.

— Le jour où tu m’es apparue, ma chérie, — dit Fernand, — tu portais des roses à ton corsage : c’est pourquoi j’en ai mis pour t’accueillir, je les ai toutes invitées.

Des fruits, des pâtisseries, quelques vins doux étaient cachés parmi les fleurs. On goûta.