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reste de la famille, je repartis tout de suite… Ma bonne amie, quand je rentrai à Barbizon (ici Éliane s’arrêta quelques secondes et reprit comme en trémolo), quand je rentrai, je trouvai chez nous cette grande fille, le modèle de M. Juillard, une effrontée, une coquine. Ce qu’elle posait, vous le devinez sans peine. Je voulus m’en aller immédiatement, mais Poncelet me retint, se jeta à mes pieds, jurant qu’il n’aimait que moi, et que pour le prouver il me suppliait de l’épouser : « Comme cela, — ajouta-t-il — tu seras tranquille. »

» Alors, — continua Éliane très gravement, — nous nous marions. C’est en effet une grande sécurité pour moi, car vous pensez bien que, quand il sera mon mari, il y regardera à deux fois avant de me tromper.

Louise écoutait, ne disant rien, ne trouvant rien à dire, s’émerveillant seulement du prodigieux don d’illusion de son amie. Celle-ci poursuivait :

— Mes parents ont été très bien : nous sommes réconciliés et ils me donnent une petite dot… Nous ne nous marierons qu’en décembre, à cause du deuil, et, naturellement, je compte sur vous pour être ma demoiselle d’honneur.

Éliane se tut, et, durant un instant, on n’entendit plus que le cliquetis des petites cuillers, heurtant les porcelaines, et le bruit, monotone comme une roue de moulin, des conversations d’Anglaises de passage, revenant d’un trip sur le continent.

Enfin Louise trouva le courage de dire à Éliane qu’elle souhaitait de tout son cœur la voir heureuse. Mais elle sentait toute la vanité de ce souhait et tout le comique désolant de ce mariage que l’ironie du sort faisait naître d’une trahison. Les deux amies sortirent un peu tristes de la maison de thé, — l’abri momentané où, parmi les légères vapeurs bleues, était apparue si incertaine, si fragile, la destinée d’Éliane…

La seconde fois que Louise se rendit chez Fernand, il la reçut dans le salon où, sur une tenture de velours vert, se détachaient, pâles et charmantes et naïvement fantastiques, des aquarelles de Waller Crane.

— Je veux te parler ici, ma chérie, — dit-il, — parce qu’après on oublie tout ce qu’on avait à se dire.

Il lui expliqua qu’il désirait beaucoup lui voir quitter son