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magasin, où elle se fatiguait bien inutilement. Ensuite, elle pouvait garder avec elle les plus affectueux rapports, mais pourquoi continuer d’habiter chez sa tante, dans une petite chambre bonne pour une fillette ?

— Je te voudrais — fit-il — un logis plus digne de toi, et tu aurais, naturellement, un état de maison, avec tout ce qu’il faut à la plus jolie femme de Paris pour se mouvoir à l’aise.

Il venait d’acheter un hôtel sur le parc Monceau, mais qui servirait surtout pour la réception, et il ajouta tendrement :

— Je viendrai chez toi toutes les fois que tu voudras bien de moi.

Louise avait laissé parler Fernand, mais sa décision était bien arrêtée, et même la chose avait déjà été élucidée entre elle et Félicité.

— Mon ami, — dit-elle, — je vous remercie ; mais, comme toujours, vous formez pour moi des projets beaucoup trop magnifiques. Laissez-moi donc rester la petite modiste que vous avez remarquée et aimée. La vie que vous m’offrez changerait tout, ferait de moi une demi-mondaine, une « fille », comme disent ces demoiselles, quand madame Arlette de Saint-Omer ou quelque autre de ce genre a voulu prendre des airs de princesse avec nous… Et puis, voyez-vous, Fernand ? je n’ai rien de ce qu’il faut pour être une femme à la mode, et vous faire honneur. Je suis timide et gauche, et, si je devais apparaître dans une avant-scène avec l’aisance et l’insolence que je leur vois, j’aurais envie de pleurer, de m’aller cacher… Prenez-moi pour ce que je suis, pour une petite villageoise qui a eu la chance de vous plaire, mais qu’il ne convient pas de tirer de son obscurité… D’ailleurs, ne raillez plus mon installation : elle va être fort belle. On nous cède deux pièces de l’appartement voisin du nôtre, et mademoiselle Kérouall aura son enfilade et son salon de réception.

Louise, qui avait débité gentiment son petit discours, l’acheva sur un ton pompeux, dans l’espoir de faire sourire Fernand. Mais Fernand n’était pas content et ne sourit pas. Il voulait Louise à lui, tout à lui et toujours à portée de son désir, et il la voulait encore parce qu’elle était sa gloire et sa vanité, et que, possédant des chevaux magnifiques, un hôtel entre cour et jardin, noblement encadré de hautes frondaisons,