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— Le temps fera le reste.

Le quatrième jour, Louise se leva, s’habilla sans rien dire, puis vint s’asseoir dans son petit salon, au coin de la fenêtre. Ses mains restaient croisées sur ses genoux comme de petites ailes fermées et qui n’ont plus la force de se déployer, et ses regards, indifférents à tout ce qui était proche, semblaient perdus au loin, pareils à ceux de son père, Jean Kérouall, quand en mer autrefois il guettait des pays dans la brume.

Elle semblait calme, lorsque, vers dix heures, Éliane entra, tenant à la main un gros bouquet de roses, de belles Paul Néron au cœur de pourpre. À la vue de ces fleurs, qui lui rappelaient ces premiers temps gracieux de sa liaison où Fernand, pour la recevoir, garnissait son logis de gerbes et de massifs de roses, elle fut prise d’une syncope. Il lui semblait que ces fleurs qu’on lui offrait étaient blessées et saignantes.

Elle pleura longtemps, le visage dans les mains…

Au bout d’une quinzaine, elle dit à sa tante qu’elle retournerait au magasin. Elle avait retrouvé son calme et sa douceur souriante, mais elle demeurait pâle avec les yeux cernés. Et, au dedans d’elle, c’était comme une petite chapelle close et discrète où sans cesse elle portait de nouveaux regrets, de nouvelles larmes. Elle cristallisait le passé, lui prêtant un charme qu’il n’avait pas eu.

La nuit, des visions, variées dans leur monotonie, la poursuivaient, et presque toujours son ami n’était pas mort et lui parlait.

De ces troubles, elle ne disait rien, pour ne pas affliger ceux qui l’entouraient. Toussard, afin de la distraire, se montrait ingénieux et charmant. Il abandonnait ses affaires plus tôt et l’emmenait en promenade. Il la conduisait dans les vieux quartiers de Paris et lui en racontait la vie ancienne. Ce Parisien amoureux de sa ville, et qui en connaissait tous les recoins, faisait revivre dans leurs détails des scènes de l’histoire. Louise l’écoutait, intéressée, émue. Cette imaginative frissonnait, en entendant évoquer des ombres encore voisines, en regardant la fenêtre d’où Manon Phlipon avait vu couler la Seine avant de marcher à sa tragique destinée.

Agrandissant ainsi le champ d’idées de cette enfant, Toussard espérait éloigner le souvenir qui l’obsédait, et lui montrer