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Jacques Lenoël à se consacrer à la médecine. Il eût été aussi bien grand artiste ou grand écrivain, et les dons sacrifiés s’agitaient en lui, éclataient en surgeons, ainsi que l’attestaient les cires délicieuses qu’il modelait dans ses heures de loisir, et les articles de forme magistrale et de si haute portée que le monde médical et le monde des curieux suivaient avidement dans les revues. Son cours de pathologie nerveuse était tellement assailli qu’il fallut, pour en écarter la foule, exiger des cartes d’étudiant.

Le professeur Lenoël, âgé alors de quarante-cinq ans, ne s’était jamais marié. On parlait de fidélité gardée à un souvenir, et l’imagination frivole et romanesque des salons se plaisait à lui attribuer des aventures sans nombre, où l’on mêlait au hasard les noms des femmes les plus désirables parmi celles qu’il fréquentait.

Grâce à ces récits, où la niaiserie, la méchanceté et l’attrait de la fable avaient leur part, la légende s’était formée. Madeleines prostrées, prêtes à de nouveaux péchés, coquettes fiévreuses, haletantes, âmes douloureuses traînant leur plainte, âmes avides, assoiffées de désir, toutes celles que la vie a trahies ou affolées venaient à lui, implorant un conseil, un réconfort, peut-être plus encore… Et c’était parmi les frissons des soies et des dentelles, dans l’odeur des parfums subtils, de longs entretiens d’où le docteur ne s’échappait parfois que malaisément…

Sans doute y avait-il quelque exagération à présenter les choses de la sorte et à montrer le professeur Lenoël comme Prométhée au milieu des Océanides amoureuses et pâmées. Car où aurait-il pris le temps de poursuivre les travaux qu’il menait avec tant d’ardeur et d’éclat à travers le domaine encore mal exploré de la pathologie nerveuse ? De même, comment aurait-il pu, à certaines heures, rares, il est vrai, s’évader pour faire l’école buissonnière à la recherche de quelque œuvre d’art, de quelque vieux livre précieux ?

Son petit hôtel, aux environs du parc Monceau, était un véritable musée. Il y entassait des marbres grecs réunis au cours de ses voyages, des bronzes et des tableaux anciens, et il gardait sur la table de son cabinet de consultation tel torse de femme émouvant de grâce et de perfection, et qui lui rendait le sens de