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gnant leurs forces ingénues, elles posséderaient le bonheur sans mélange… Il faut, mademoiselle, aller vous tremper dans le fleuve Léthé.

» L’endroit où je veux vous envoyer n’est pas en Grèce et n’est arrosé que par une mince rivière qui n’a d’autre vertu que d’être fraîche et pure. Mais le paysage, le ciel, la terre, tout dans ce lieu mettra en vous une paix secourable et profonde. Au lieu de cet air subtil et enflammé de Paris, qui pour beaucoup, pour vous actuellement, est un poison, vous sentirez une langueur douce, un souffle calmant vous pénétrer, vous bercer comme font les mères qui endorment leurs petits enfants.

» Et de ces arbres mignons qui jettent de grandes ombres, de tout ce pays simple et naïf, montera, affluera en vous le calme, le calme divin. Et vous deviendrez inconsciente et candide comme les petites fleurs des champs.

» Ce lieu enchanté, que je vante avant de vous l’avoir nommé, s’appelle Selisbad. Il est situé dans un vallon du pays rhénan et il est si vert, si propre, si coquet, qu’il ressemble à un beau jouet machiné de Nuremberg, au milieu duquel circulent des poupées falotes et souvent un peu comiques.

» Le traitement sera peu de chose. L’air, l’exercice, la vie réglée et paisible suffiront, sans doute. Peut-être mon confrère de là-bas, pour lequel je vais vous donner une lettre, vous conseillera-t-il des bains. Ils sont fort réputés pour leurs qualités dermiques, mais de ce côté je crois que vous n’avez rien à désirer.

Et le docteur Lenoël, s’étant mis à écrire, demanda à Louise de lui dire son nom.

Ayant terminé, il ajouta :

— À mes avis, mesdames, je vais joindre une confidence : j’irai peut-être moi-même à Selisbad. Lorsque mes besognes sans nombre m’en laissent le temps, c’est là que je vais quelquefois me réfugier et chercher un peu de repos. Mais je me garde d’en parler, de peur d’être suivi par l’essaim de mes malades. Ma clientèle est une clientèle terrible. J’aimerais mieux être aux mains des démons qu’en celles de quelques-unes de mes plus aimables détraquées.

Le docteur Lenoël quitta son fauteuil, tendant la lettre