Page:Revue de Paris - 1908 - tome 2.djvu/566

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

» L’hôtel est très bon, la nourriture très bonne aussi… Professor Lenoël y demeurait… L’an passé, il n’est pas venu, mais il y a deux ans… Une dame de Paris est venue aussi en même temps, je crois, une dame du Théâtre-Français, très belle, mais sans comparaison moins belle que vous, chère demoiselle… Nous voyons malheureusement très peu de Françaises. C’est dommage. Mais, j’espère, cette année, nous verrons le professeur.

Louise ne savait pas. — Décidément son médecin lui semblait bien bavard. Mais il la touchait par sa rusticité.

Lorsqu’elle le quitta, il promit sa visite pour le surlendemain : après le second bain, il viendrait s’assurer de l’effet du traitement…

Le jour suivant, Louise sortit dès le matin pour faire sa promenade. Les allées étaient déjà pleines de monde, gens de tout âge, de conditions diverses, qui tous allaient et venaient, sur un étroit espace, du même train monotone et automatique. Et ils paraissaient vraiment machinés comme les six cents poupées qu’on voit dans les jardins du château d’Heilbronn près Salzbourg, qui fonctionnent à l’aide de jeux d’eau et figurent la population d’une petite ville allemande.

Mais ce qui déconcerta Louise, ce fut l’immense curiosité dont elle devint aussitôt l’objet, de la part de ces personnes d’apparence inoffensive. Et ce n’était pas, elle le sentait bien, la curiosité flatteuse, parfois libertine, émue, audacieuse, qui chez nous palpite autour d’une jolie femme ; c’était une curiosité lourde, hostile, et comme hérissée. Hommes, femmes, petits enfants, s’arrêtaient sur son passage, se formaient en groupes, la considéraient, vaguement méfiants. Magicienne, nixe, ondine, ou simplement Parisienne, ils la devinaient très loin d’eux, se mouvant au milieu de sortilèges et de subtils parfums, qui les effrayaient. Louise résolut de ne plus aller que sur les routes et les grands chemins, et, prenant ses repas dans sa chambre, elle put échapper au zèle de ses observateurs.

En suivant les lacis tracés parmi les bois, elle trouva des bancs isolés, où la vue s’élargissant à travers l’écart des arbres découvrait un fond de vallée, tout un abîme verdoyant, qui s’en allait, comme un affluent, rejoindre la grande vallée rhé-