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— Docteur — fit Louise, — vous êtes bon de me rendre visite et de vous être souvenu de moi.

Et elle lui offrit l’unique fauteuil de sa chambre.

— Je suis ici depuis ce matin, — dit Lenoël, — et je pensais vous retrouver à l’heure du déjeuner, du « dîner », comme on dit ici, mais j’ai appris que mademoiselle Kérouall prenait ses repas chez elle.

— Je vais vous dire, docteur : ces Allemands avaient une manière si bizarre de me dévisager, que j’ai dû renoncer à me mêler à eux. Leurs façons me rappelaient les gens de chez moi, qui allaient regarder sur la place les ours et les singes de passage… Je ne suis pourtant pas une bête curieuse.

— Peut-être que si ! — fit en souriant Lenoël ; — mais il est vrai que les Allemands manquent parfois de goût et de tact. Enfin, mademoiselle, ne vous tourmentez plus : désormais vous serez protégée. Il vous arrive un défenseur et il saura faire revivre parmi ces étrangers les beaux jours de la chevalerie… Car ce pays, que couvrent aujourd’hui les brasseries et les casernes, fut jadis la terre suave et fleurie où la femme se vit célébrée en immortels accents. Dans ces temps-là, des rives du Danube à celles du Rhin, se répandaient les échos des chansons d’amour. Je vous raconterai cela ; en attendant, je me déclare votre champion… Et, dites-moi, ce traitement vous réussit à merveille ? Dormez-vous ? la fièvre vous a-t-elle quittée ?

Et, lui saisissant le poignet, il le garda quelques instants entre ses doigts.

— Allons, tout va bien, tout va au mieux… Vous êtes, sans doute, ici avec madame votre tante ?

— Non, — répondit Louise ; — je suis venue avec une personne de confiance, presque une amie. Ma tante était encore retenue à Paris… Car nous sommes modistes, docteur. Vous ne vous en doutiez peut-être pas ?

— En effet ! — fit-il, — je ne m’en doutais pas ; je vous croyais… au fait, je ne sais pas trop moi-même ce que je vous croyais… Je vous ai prise pour une Parisienne simplement, une Parisienne des plus rares… Et cela en soi est une condition, un état, une vertu. La Parisienne est certes un des ouvrages les plus fins et les plus achevés de cette nature qui a tant pro-