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déjà s’en allait, soudain s’arrêta, considérant avec étonnement cette petite fille qui restait confuse de son audace.

Ce mot, que de fois déjà il l’avait entendu ! Et voici qu’elle aussi, après tant d’autres, sentait, invoquait cette magie, ce charme pénétrant, cette puissance dont on lui faisait un tourment.

À son tour, elle viendrait à lui, apportant sa confiance, son trouble, son espoir, et lèverait vers le sien son doux regard bleu. Et lui, que pourrait-il pour elle ? Il la contempla dans la perfection de sa beauté, rose et lumineuse, sous le demi-jour de la chambre, et, la saluant avec mélancolie, il la quitta…

Le lendemain au soir, ils se retrouvèrent à la petite table, sous la véranda.

— Mademoiselle Louise, — dit gaiement Lenoël, — depuis hier j’ai lu près de deux cents lettres et j’ai répondu à quelques-unes. Je suis étrangement soulagé. Je me sens pour dîner avec vous le bon appétit d’une conscience heureuse. Que de toutes ces enveloppes déchirées se soit échappé un appel sérieux, et qui vaille une réponse, je ne tenterai pas de vous le faire croire. Mais il suffit que, dans cet amas, quelques voix, une seule même, me convie à une tâche utile, m’indique un devoir à accomplir, pour que je n’aie pas le droit d’être négligent. Il y a, en tout, beaucoup d’efforts, de peine perdue. Qu’importe, si, dans le désordre et la nuit, on a pu allumer une petite lueur secourable, qui montrera un chemin ! Le monde sort de tâtonnements et de longs essais, et qui dira à travers quels types disparus, méprisés, abandonnés, le génie de l’espèce a évolué avant de réaliser mademoiselle Louise Kérouall ?…

» Et vous, — ajouta-t-il, — qu’avez-vous fait pendant ce beau jour d’été ? À votre place, je sais bien à quoi je m’occuperais : je me mettrais devant le miroir. Vous êtes un des plus jolis spectacles qui se puissent contempler. Vous me découragez de quelques-uns de mes bibelots dont j’étais le plus fier.

— Docteur, — reprit Louise, — il y a bien de l’ironie dans vos compliments ; mais je la préfère encore à tous les hommages des autres. Au risque de gâter les lignes d’un visage auquel vous êtes trop indulgent, je voudrais saisir au vol toutes vos pensées et les garder en moi, non pas comme des papillons