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et les écritures envolées comme des flèches ou enlaçantes comme des lianes.

— Mademoiselle Louise, — dit-il, — on vient de me faire à cause de vous une scène de jalousie. Oh ! ne vous moquez pas, ç’a été une vraie scène, et que je ne mérite pas, vous le savez bien… Vous portez ombrage à une princesse. Elle m’aime depuis trois ans et nous filons ensemble le parfait amour au clair de lune… une lune allemande, car celle de Paris se moquerait de nous… J’ai connu cette dame ici. Elle est veuve, après avoir été l’épouse morganatique d’un prince régnant. On dit qu’elle fut jolie jadis ; aujourd’hui, sous l’épanouissement d’une maturité abondante, heureuse et florissante comme une riche campagne, elle a gardé l’âme printanière. Elle orne son ample corsage de pâquerettes et les effeuille en levant les yeux au ciel. Pour elle, la vie apparaît pleine de roucoulements de colombes et de myosotis cueillis dans les prés humides. On prétend que les dames allemandes sont de mœurs faciles ; je n’ai jamais eu l’occasion de m’en assurer, mais elles m’ont souvent laissé voir leur sentimentalité, qui les baigne comme des ruisseaux de sirop très doux et un peu poisseux. Elles ont aussi une ingénuité, une innocence vraiment paradisiaques. Au cours des promenades que j’espère bien faire en votre compagnie, nous les surprendrons avec leurs fiancés ou leurs maris en des attitudes que la police des mœurs ne souffrirait pas chez nous. Ici on ne sourit même pas. Ce peuple est étranger au goût aussi bien qu’à l’ironie, mais il a d’autres qualités fortes et belles. Pour le travail, les Allemands sont des Cyclopes, et leur poésie plonge au plus profond des âmes et de la nature. Elle est à la fois lyrique et intime, et penche un visage familier sur le mystère infini du monde. Apprenez l’allemand, mademoiselle Louise, et je vous lirai des vers d’Henri Heine.

— Je sais un peu d’allemand, — dit Louise timidement ; — il y avait chez nous une sœur alsacienne qui voulait bien me donner quelques leçons. Mais ce peu n’est rien, et mon ignorance, hélas ! est sans bornes, Quand je vous écoute, il me semble, à chaque instant, qu’une île merveilleuse s’éclaire et se montre à moi. Vous êtes un grand magicien.

Au moment où elle prononça ce mot, Jacques Lenoël, qui