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— Ah ! c’est vous, mademoiselle Louise Kérouall… Comment allez-vous depuis l’été dernier ?

Elle eut de cette scène une vision si nette et si mélancolique que les larmes lui vinrent aux yeux. Elle se dit : « Il faut m’en aller, m’en aller tout de suite. En restant, j’aurais l’air d’une pauvresse honteuse qui guette à l’écart qu’on lui marque un peu de pitié… » Sa cure était presque achevée, elle irait chez son docteur allemand et prendrait congé de lui.

Comme elle sortait, sur le palier elle se trouva en face de Jacques Lenoël.

— Louise, — dit-il brusquement, — ma cire est arrivée, je viens vous chercher pour que vous posiez.

Sans un mot, elle le suivit.

Il était logé dans une grande pièce d’angle, éclairée par quatre fenêtres ; le jour et l’air l’emplissaient, et les papillons venus des jardins voisins y entraient comme chez eux.

Sur les tables s’étalaient des livres, des brochures, des revues. Ça et là fleurissaient des bouquets, dans leurs collerettes de papier découpé, hommages naïfs d’admiration au célèbre professeur. Une table, plus élevée que les autres, portait le bloc de cire, une armature de fil de fer et des ébauchoirs.

— Je vous ferai « petite nature », — dit-il, — car la cire me fait défaut, aussi bien que le temps… Ce qui me fait défaut plus encore, c’est le talent. En sculpture, j’espère qu’il me sera beaucoup pardonné.

Elle s’était assise, et lui, debout, la regardait, l’étudiait avec une attention profonde.

— Vous êtes déroutante, — dit-il, — et la perfection de vos traits irrite comme un défi. On croit monter le long d’un roc poli, sans un accident où se prendre et s’accrocher. Il faudrait Praxitèle ou Scopas pour s’en tirer. Ceux-là avaient une force juvénile, une candeur qui triomphait de tout. Nous autres, nous sommes des dégénérés, des tourmentés, nous nous inquiétons du caractère, du pathétique, nous avons divinisé la souffrance, et les irrégularités d’un visage souvent nous viennent en aide… Avec vous, j’ai peur de faire froid, sec et poncif, d’attenter à l’immortelle beauté et de manquer à Vénus aussi bien qu’à vous-même… Peut-être, si j’étais peintre, la couleur me prêterait-elle plus de ressources. A-t-on déjà fait votre portrait ?