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Elle répondit que non, oubliant, reniant, supprimant la petite miniature encadrée de diamants, que la baronne Epstein lui avait renvoyée peu de jours après le malheur.

Il s’était assis. Maintenant il maniait, pétrissait la cire. Il continua :

— Il existe en « petite nature » un délicieux chef-d’œuvre de la Renaissance : la tête de cire du musée de Lille. C’est fait avec rien, une fillette à la mine chétive. Mais la suavité fleurit sur ses lèvres, et ses yeux mi-clos s’entr’ouvrent sur le monde comme un matin de printemps… Il s’agit bien de tout cela ici ! Il faut modeler serré, s’appliquer comme un écolier qui copierait d’après la bosse.

D’une main agile, il construisait rapidement. Déjà apparaissait une maquette simple et sans détails. À côté, le modèle semblait à jamais intraduisible dans sa netteté délicate et son exquise pureté. Puis Lenoël se mit à chercher des contours, forma, arrondit les joues, fit saillir le menton. Et, pour indiquer la naissance du cou, il pria Louise de faire glisser son corsage. Elle en dégrafa le haut et la petite colonne d’ivoire jaillit de l’étoffe.

Elle posait, immobile, déférente, et, dans le grand silence et le recueillement, seuls deux papillons blancs, d’un vol léger, incessant, se poursuivaient sans s’atteindre.

Au milieu de ce salon d’hôtel cossu, avec ses épais rideaux de velours grenat, sous la lumière qui la baignait, elle rayonnait de l’éclat de ses cheveux, de la nacre rose et blanche de sa chair, et l’on eût dit que tout, autour d’elle, souffles et soupirs et brises de l’air, vint flotter en désirs et en caresses.

D’une ardeur continue, le professeur Lenoël travaillait. Maintenant il dégageait la nuque, la rattachait aux épaules par cette ligne longue et flexible qui prêtait à la tête son port noble et charmant.

L’œuvre naissait, élégante déjà, et d’allure fière. La cire obéissante se façonnait, se soumettait au jeu de la pensée, devenait expressive sous l’effort fiévreux et sûr des doigts.

Près de deux heures s’étaient écoulées sans lasser son zèle, lorsque brusquement Lenoël lâcha l’ébauchoir et, regardant Louise comme pour lire au fond d’elle :

— Depuis le malheur, il n’y a rien eu dans votre vie ?