Page:Revue de Paris - 1908 - tome 2.djvu/738

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

rouge, les yeux bleu faïence un peu hors de la tête, montrait d’abondants cheveux gris de fer et des favoris en côtelettes ; enfin M. Vinson, le directeur de la revue l’Art dans la Vie, grand, fin, distingué, le nez busqué, le regard myope et fatigué, de sorte que ses travaux semblaient prendre un prix nouveau à être accomplis au moyen d’organes aussi défectueux.

On se mit à table, et la lumière se joua parmi les fleurs et les porcelaines anciennes. On vanta le goût de Toussard. Il dit simplement :

— C’est mon métier.

— Votre métier ! — répondit Vinson, — mais qui s’entend aujourd’hui à l’exercer dignement, à en garder l’amour, le respect même ?… D’ailleurs je considère que les grandes foires mondiales, comme celle qui vient de s’étaler sur le Champ-de-Mars et le Trocadéro, sont une fatale épreuve pour le goût français. Je veux bien que l’on expose les fers et les aciers, et les produits de la chimie appliqués à la pharmacie, mais les objets faits pour orner précieusement des intérieurs recherchés, comment peuvent-ils s’en tirer ? C’est la prime au clinquant, à l’extravagant.

— Il en faut, mon ami, il en faut absolument ! — dit Toussard. — Songez que l’humanité descend du singe, et, plus récemment, du sauvage, et qu’elle a gardé une préférence atavique pour les parures dont jadis, dans les forêts vierges, se réjouirent ses ancêtres. Pourquoi ne pas lui en donner ?

— Vous en parlez à votre aise ! — répondit Vinson. — L’art de la toilette et des beaux tissus est un des seuls qui ne soit pas en décadence parmi nous. Mais voyez les autres, l’architecture, par exemple, qu’en a-t-on fait ? Je sais bien que depuis Percier et Fontaine on n’avait plus rien trouvé. Mais du moins on restait inoffensif. Aujourd’hui, c’est le délire et la folie. Dans ce pays de France qui pendant plus de dix siècles connut la plus magnifique floraison de pierre, où après la naïve fierté du roman, on vit éclore les fleurons et les rosaces merveilleuses de l’art gothique, où la Renaissance conçut les plus délicats chefs-d’œuvre, où la majesté du style Louis XIV fut comme le symbole de la grandeur royale ; sur ce sol de France d’où jaillit ce joli style Louis XV tout en fantaisie et en arabesques, où le style Louis XVI, avec ses profils antiques, ses guirlandes