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Dans la fumée des cigares, leurs propos s’échangeaient, tantôt vifs, riches d’espoir, tantôt mélancoliques, propos de sages et aussi de rêveurs, où se reflétaient la vie et ses jeux et ses efforts et sa finale impuissance.

Louise s’en alla. À la porte, en lui baisant la main, Lenoël lui dit :

— Comment trouvez-vous mon ami Robert ?

— Je ne sais, — fit-elle. — Quand vous êtes-là, je ne vois personne.


XXIII


Vers midi moins un quart, Louise et Lenoël tournèrent l’angle de la rue de la Paix et remontèrent l’avenue de l’Opéra, pour aller choisir la gaze destinée à cette statuette qu’il teinterait légèrement à la façon des terres cuites antiques. Tandis que tous deux marchaient côte à côte, il salua : en même temps les croisait le coupé sombre et bien attelé de madame Alice Cointel, qui avançait la tête tout à fait hors de la voiture pour les suivre des yeux. Ils ne se dirent rien, mais Louise sentit au cœur une petite morsure. Dans la boutique, elle resta distraite, regardant à peine les étoffes. Sa gaieté ne revint qu’à la fin du déjeuner auquel il l’invita, dans un restaurant voisin.

Le surlendemain de cette rencontre, madame Cointel entra dans le magasin de la rue de la Paix, où on ne l’avait pas aperçue encore de la saison.

Cette artiste, que quelque talent et une réelle distinction avaient mise en vue, était une personne raisonnable : elle n’exigeait pas que Lenoël lui fût fidèle ; elle le trouvait décoratif et tenait à le garder. Les liaisons du docteur avec des femmes du monde, loin de la choquer, lui étaient une concurrence et un voisinage piquants et honorables. Mais cette fille de modes dont il n’avait pas soufflé mot, qu’il affichait publiquement, et à laquelle il se consacrait, sans doute, puisqu’on ne le voyait plus, c’était trop fort et inadmissible.

Et madame Cointel était venue pour écraser de son mépris cette rivale indigne.