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et d’un peu triste. On dirait que ceux qui vécurent ici sont tout proches, tant leur âme et leur empreinte y restent encore. On les verrait entrer sans trop d’effroi. Une dame poudrée et en paniers viendrait faire la révérence à un seigneur en habit brodé… C’est drôle, quand nous évoquons les morts, nous ne leur prêtons jamais que des attitudes cérémonieuses et frivoles.

— Et c’est bien heureux, — fit Lenoël, — la réalité ne se pourrait supporter. Le temps met autour des objets une buée qui les adoucit. Si on les distinguait exactement, ils seraient intolérables.

— Mais dites-moi — insista Louise — pourquoi vous venez si rarement ici. Cet endroit est délicieux.

— J’y viens au printemps, pour deux ou trois jours. Mais Paris est trop voisin : je suis relancé, harcelé. Pour jouir de quelque repos, il faut que j’aille le chercher au loin.

— Et jamais vous n’avez passé ici plus de deux ou trois jours de suite ?

— Si, autrefois, il y a longtemps, j’y ai vécu près de six mois… J’avais loué la maison, que j’ai achetée ensuite… C’est une époque de ma vie où je fuyais tout… Depuis, le temps a répandu sa buée : je n’aime pas à la dissiper.

Louise se tut, sentant qu’elle avait heurté un seuil qu’il ne fallait pas franchir ; mais autour d’elle, dans le soir qui descendait les ombres et les hantises bougeaient de plus en plus. Et parmi les apparitions légères du siècle passé elle en crut discerner une autre, aussi inconnue, mais moins ancienne et qui l’effraya.

Quand ils partirent, devant la grille, Annette les attendait ; entre ses petits bras, elle serrait un bouquet de chrysanthèmes :

— C’est pour la dame.

Sur la route, où les arbres maintenant formaient des masses sombres, Louise s’en alla avec son ami. Et, un frisson au cœur, elle se demanda si dans la vieille maison, sous le feuillage d’or des platanes, les fantômes, tous les fantômes, avaient repris leur long sommeil…


XXIV


Louise venait de chez Éliane, où l’on avait fêté l’année nouvelle.