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tement, Mrs. Bartlett gardait la brusquerie, les mouvements saccadés, la voix rauque et cuivrée d’un cow-boy du Far West.

Avec elle était venu Tullio Silveira, le peintre attitré des « beautés professionnelles ». Il l’accompagnait afin de présider à la composition du chapeau dont elle serait coiffée dans le portrait qu’il faisait pour le prochain Salon.

Silveira, dont la vogue était alors à son comble, se disait Vénitien, quoiqu’il fût originaire de ce pays dalmate, jadis tributaire de la Sérénissime République, et dans lequel tant de races se sont croisées. C’était d’ailleurs à Venise qu’il avait reçu ses premières impressions d’art.

Lorsqu’il vint à Paris, il lui restait presque tout à apprendre ; son dessin était incertain et « chiqué », sa facture désordonnée. Mais il apportait de précieuses formules, d’ingénieux artifices, l’or du Titien, les nacres irisées du Véronèse, et jusqu’aux éclairs qu’allumait parmi les satins le prestigieux Tiepolo.

Sans « nature », sans « tempérament », Silveira, avec une adresse de singe, avait su s’approprier la nature des autres. Grâce à son habileté, à son intelligence déliée, abondante en ressources, à son âme astucieuse, il réussit rapidement dans le portrait. Chaque modèle était pour lui un sujet d’analyse et de subtile psychologie. De la beauté, de la vanité, des défauts il savait faire une synthèse où la ressemblance devenait une flatterie.

Il passait aussi pour aimable et était fort recherché. Élégant, mince, le teint bistré, il avait une souplesse extrême, une voix caressante, et chacun de ses gestes devenait un hommage, une déclaration. Son œil étroit, luisant, ne se posait jamais directement, fuyait toujours dans une sorte de trouble. Même quand il peignait, c’était obliquement et comme furtivement qu’il regardait ses modèles. Sa grâce rappelait celle de l’arlequin de la comédie italienne, qui coule à travers le masque sa prunelle aiguë.

L’apparition de ces deux personnes en vue causa quelque émoi, fit refluer les groupes comme de petites vagues.

Mrs. Bartlett s’installa devant une glace et l’on alla chercher dans les ateliers les formes en mousseline qui presque toutes portaient le nom de quelque cliente à la mode. Mais aucune ne convint à Silveira : il rêvait un de ces chapeaux immenses à