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à la Venise du plafond, tantôt au portrait qu’il faisait en buste, les bras et les épaules nus.

— La prochaine séance sera sans doute la dernière, — dit-il, un matin. — Je vous mettrai le manteau de pourpre et d’hermine et j’attacherai sur votre front la couronne ducale. Nous aurons ainsi l’effet complet… Mais ce que je suis inhabile à dire, c’est ma reconnaissance sans limites. J’ai tenté de l’exprimer en me représentant à vos pieds, parmi les peuples tributaires de la République. Je suis à jamais votre esclave.

Silveira comptait sur ce plafond pour établir sa réputation de décorateur. Célèbre déjà pour ses portraits, il aspirait à devenir le successeur, l’émule de ces maîtres vénitiens qui jadis ornèrent de figures enchanteresses les palais et les églises de leur ville…

Au soir de ce même jour, toute seule dans son petit salon, Louise lisait. Fairy, pelotonnée sur ses genoux, offrait aux caresses son corps tiède et ses longs poils soyeux. Félicité était allée chez une amie.

Sur les murs, deux pastels que Lenoël avait donnés, la dame poudrée de Roslin dans sa robe à l’antique, et une fillette avec un singe par la Rosalba, montraient les splendeurs pâlies de leurs atours.

Les minutes s’égrenaient ; neuf heures sonnèrent. Et cette soirée ressemblait à beaucoup d’autres.

Le timbre de la porte rompit le silence, retentit longuement.

« Qui peut venir si tard ? — se dit Louise. — Éliane peut-être ?… » Pourtant une inquiétude s’éveillait en elle.

Rosalie annonça M. Louis Robert, qui demandait à parler à mademoiselle, tout de suite.

Dès qu’il entra, elle sut d’une façon certaine que ce soir ne serait pas comme les autres, que déjà les instants qui couraient portaient le poids d’une chose inconnue, terrible peut-être, qui venait à elle.

— Le docteur Lenoël — dit-il — est obligé de partir, cette nuit même, pour un long voyage : il vous envoie chercher.

Elle se leva vivement, fut prête tout de suite.

Dehors, dans le ciel clair et sans étoiles, la lune filtrait à travers les nuages. Louise pensa que ce départ non plus n’était pas comme les autres, avait un air singulier, effrayant.