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En voiture, par un effort de tout son courage, elle dit :

— Qu’est-il donc arrivé ?… Je l’avais vu hier.

— C’est une dépêche reçue dans l’après-midi : il est mandé en toute hâte à Madère, auprès d’une malade dans un état grave. Il vous expliquera.

Et Robert se tut, mais dans son silence Louise devinait la sympathie passionnée, la pitié discrète, et sa détresse s’augmentait.

Rue d’Offémont, dès qu’elle eut franchi le seuil de l’hôtel, la hâte et le désordre de ce départ subit apparurent. Des malles, des sacs épars, les portes ouvertes, partout des gens qui attendaient… Dans la chambre à coucher, deux bougies seulement brûlaient, comme deux petites larmes de feu, tremblant au milieu de l’ombre où tout se noyait. Louise resta debout, immobile. Le froid et la peur la raidissaient toute.

Il entra. Il semblait très grand, indistinct et comme mêlé à la nuit. Il la prit entre ses bras, ainsi qu’il avait coutume de le faire, l’assit sur ses genoux, dans un fauteuil. Mais Louise demeurait muette et glacée, et, lorsqu’il voulut s’unir à elle par les lèvres, cette âme si docile d’ordinaire, si prompte à s’émouvoir, ne vola pas vers lui.

Alors, d’une voix que la douleur brisait, il lui parla :

— Louise, je dois partir tout à l’heure, et tu me tiens au cœur si profondément qu’à te quitter ainsi je sens comme une part de moi-même qu’on vient m’arracher. Je suis appelé auprès d’une mourante et je ne saurais faillir à cet appel.

Un grand frisson traversa Louise. Elle comprenait : l’ombre évoquée, un jour, dans le clair salon de Villeneuve, était venue.

Lenoël continua :

— Ma pauvre enfant, dans cet inconnu, dans cette vie d’angoisse qui m’attend là-bas, je ne puis plus t’assurer de rien, ni rien te promettre, et j’ai perdu jusqu’au courage de te consoler. À toi qui as été ma joie délicieuse, à toi qui avais mis en moi ta confiance et ton bonheur, j’apporte cette souffrance, dont je sens plus que toi toute l’horreur. Et le sort affreux qui nous sépare, je n’ose même pas le maudire ni l’interroger. Souvent je me tourmentais de l’avenir, te voyant si jeune auprès de moi. Et maintenant, c’est moi qui m’en vais vers une destinée incertaine, alors que je te chéris plus que moi-même.